Redéfinir la tragédie grecque
Redéfinir la tragédie grecque

Redéfinir la tragédie grecque

Redéfinir la tragédie grecque

Antiquité et reconstruction moderne

Que savons-nous ?

Inopinément, la découverte exceptionnelle de fragments inconnus de deux tragédies grecques d’Euripide relance un vieux débat : est-ce que la tragédie grecque est… tragique ? Aussi abscons que cela puisse être, les tragédies des Grecs de l’Antiquité n’ont pas été fournies sur un plateau d’argent. Entre deux morceaux de puzzle, une reconstruction moderne s’est opérée au XIXe siècle. Retour une succession d’idées reçues avec un deus ex machina à la clé.

Il ne nous reste que 32 textes de 3 auteurs : Sophocle, Euripide et Eschyle. Soit 2% du contenu estimé de l’Antiquité. Le théâtre antique est avant tout une reconstruction moderne.

Ce que nous savons de la production théâtrale grecque se résume à 2%. Et pourtant, au Ve siècle avant J.-C., à Athènes, la période est faste : en 80 ans, quasiment plus de 2 000 pièces (destinées à n’être jouées qu’une fois) ont été écrites.

Aller au théâtre est une activité avant tout religieuse, pas culturel. Le théâtre prend naissance avec Dionysos, dieu du vin, à qui on rendait hommage par des chants. Avec le temps, un des chanteurs s’est détaché du chœur et lui a donné la réplique.

La découverte du siècle

À l’origine, il n’y avait pas plus de trois acteurs. Les chœurs et la danse y avaient une place prépondérante. À Athènes se déroulaient des concours musicaux (l’art des Muses) trois fois durant l’année : lors des Lénéennes, les Dionysies rurales en hiver, et surtout lors des grandes Dionysies au printemps.

Au théâtre de Dionysos, les gradins pouvaient accueillir 17 000 spectateurs. Le prix des places est modique, notamment pour que les plus pauvres y aient accès. En outre, le “theorikon” est un fonds d’indemnité pour dédommager le manque à gagner d’une journée de travail.

Les concours de pièces de théâtre opposent deux épreuves distinctes. Cinq auteurs comiques présentent une comédie et trois poètes tragiques proposent une trilogie et un drame satyrique.

Evolution et désintérêt

Les hommes, les enfants et les étrangers de passage sont admis au théâtre. Rien n’est certain pour les femmes et les esclaves. Les tragédies racontent les exploits et légendes grecques : la guerre de Troie, Héraclès, Œdipe, etc. Tout le monde connait le début, le milieu et la fin. C’est à l’auteur de “jouer” avec ces trames pour se démarquer et les rendre intéressantes.

À la base, la tragédie n’est pas fait pour parler “politique”. Les comédies, à l’inverse, se moquent des personnalités publiques. Cependant, en 415 avant J.-C., un décret interdit d’attaquer nommément une personnalité publique au théâtre.

Au IVe siècle, le désintérêt guette. Les thèmes des auteurs deviennent individualistes, et on met en scène des comédies autour de la maison et des sentiments, délaissant ce qui se faisait auparavant. Au IIe siècle après J.-C, à l’époque romaine, un corpus (sorte d’anthologie scolaire) est compilé : 24 textes sont conservés. Les 8 autres pièces ont été trouvés dans des manuscrits à Florence et à Rome.

Redécouverte

À la fin du XVIIIe siècle, Les philosophes allemands (notamment Schelling et Hegel) répondent à Kant sur l’opposition de l’homme et l’absolu grâce… aux “tragédies” grecques.

Le concept du destin “moderne” est né à ce moment-là. Ils ont puisé l’idée du “destin” chez les stoïciens de l’Empire romain, des siècles après la période classique de la Grèce antique.

Il a fallu un long travail des spécialistes au fil des siècles pour restituer les “tragédies”, car bien souvent les textes étaient fragmentaires et sans lien entre eux. De plus, nous n’avons pratiquement plus d’éléments tangibles pour les costumes portés.

Entre temps, une découverte récente (août 2024) continue à nous interroger. Après des mois d’examen intensif, deux universitaires du département d’études classiques de l’université du Colorado à Boulder ont déchiffré et interprété ces nouveaux fragments. Rien d’aussi spectaculaire n’a été trouvé depuis 60 ans. On y parle notamment de la moralité de la résurrection des morts.

Euripide le moderne

Les œuvres parcellaires d’Euripide concernent “Polyide” (ou “Polyides”) et “Ino”. En novembre 2022, Basem Gehad, archéologue au ministère égyptien du tourisme et des antiquités, a envoyé au professeur Yvona Trnka-Amrhein de Boulder, la photo d’un papyrus découverte dans l’ancien site de Philadelphie en Égypte.

Yvona Trnka-Amrhein a commencé à étudier la photographie à haute résolution du papyrus en examinant les 98 lignes. Vingt-deux des paroles étaient auparavant connues dans des versions légèrement variées, mais 80% étaient de première fraicheur. Paulthados (célèbre devin de Corinthe) raconte une ancienne légende sur le mythe crétois concernant le roi Minos et la reine Pasiphaé. Le roi Minos et la reine Pasiphaé tentent de ressusciter leur fils, le prince Glaucus, qui s’était noyé dans une cuve de miel.

En fait, il y a une fin relativement heureuse. “Ce n’est pas l’une de ces tragédies où tout le monde finit par mourir”, déclare-t-elle. Polyidos parvient à ressusciter le garçon grâce à une herbe qu’il a observée être utilisée par un serpent pour ressusciter un autre serpent.

Une scène du papyrus montre Minos et Polyidos discutant de la moralité de la résurrection des morts. L’autre fragment concerne “Ino”. Si le texte gravé sur des pierres en Arménie a été détruit, des chercheurs russes avaient conservé les images en les dessinant au XXe siècle.

Ino est un parent du dieu grec Dionysos et membre de la famille royale de Thèbes. Dans une pièce connexe, Ino est une méchante belle-mère qui a l’intention de tuer les enfants de son mari, le roi de Thessalonique, d’un précédent mariage. Ici, c’est une tout autre intrigue.

Une autre femme est la belle-mère maléfique et Ino est la victime. La troisième épouse du roi tente d’éliminer les enfants d’Ino. De fil en aiguille, elle tue ses propres enfants et se tue. C’est une tragédie plus traditionnelle : la mort, le chaos, le suicide. Les deux classicistes estiment qu’en matière de découverte de nouveaux fragments de textes, il y a toujours une marge d’interprétation et que des affirmations aussi audacieuses doivent être examinées avec soin par d’autres experts. Un symposium se déroulera en septembre.

Histoire & Odyssée

Vous pouvez retrouver des informations supplémentaires sur ce lien.

Informations supplémentaires : ‘Le tombeau d’œdipe’ de William Marx.

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