Le chien est le meilleur ami de l’homme, dit-on, mais est-ce que la réciproque est vraie ? Rien n’est moins certain quand on examine les passions humaines et les guerres qui en découlent.
Devenu familier dans les zones civiles, choyé dans le foyer et ami propice contre les inopportuns qui parasitent le domicile, l’animal est devenu – bon gré mal gré – un allié, si ce n’est un outil, sur le champ de bataille. Des animaux de traction, utilisés pour le transport de troupes ou de fournitures, sont devenus essentiels pour la logistique sur le front. Ânes et mulets ont charrié les lieux les plus difficiles d’accès, côtoyant les chiens de guerre dressés pour transporter des messages, notamment dans les tranchées de la Première Guerre mondiale, ou comme des sentinelles pour détecter l’intrus, inopportun, lui aussi.
Il serait vain d’en faire la liste, ils sont partout : chiens, chats, chèvres, pigeons, tous ont contribué à un effort, pendant les conflits, à soutenir et même moralement les troupes humaines susceptibles de se déchiqueter pour quelque raison que l’animal, lui, n’a cure. Parmi eux, des mascottes célèbres tenaient compagnie aux soldats et apportaient un semblant de réconfort émotionnel pendant les moments difficiles, et c’est peu de le dire, de la guerre sous toutes ses formes. En effet, le XXe siècle débutait les hostilités avec une hargne sans précédent, et personne n’y était à l’abri.
Dans son récit “Ma Grande Guerre publié”, publié par Gaston Lavy (1875 -1949), la mascotte de son escouade était un chat paresseusement assis sur une chaise, le festin des Gaspard (cf. rats) l’avait comblé. Mais ceux qui ont vraiment la gagné la guerre des tranchées, par-delà les baïonnettes et les canons d’artillerie, ce sont les mulots, rats et rongeurs en tous genres qui les ont suivis, le ronge-maille, disait-on.
Et car le rat était porteur de tiques et autres puces, en plus de se servir allègrement de leurs victuailles, les soldats en avaient un dégoût bien compréhensible. « Les canons, les canons, j’men fous. J’ai peur des rats », pouvait-on entendre dans les tranchées, comme nous le rappelle ce refrain chanté dans les tranchées. Mais qu’à cela ne tienne, les animaux prêts des soldats veillaient au grain.
S’ils sont soumis au même stress tout aussi traumatisant à leur égard que les êtres humains, les défections restent rares. Ont-ils réellement le choix ? Leur qualification est pourtant exemplaire : d’un animal de guerre, de traction ou de mascotte, ils se transforment en sauveteur improvisé. Il n’a pas fallu attendre la guerre pour le comprendre : l’animal peut être vif, intelligent, rusé et dispose d’un éventail de qualités hors du commun que l’on ne trouve pas chez l’homme. Et pour cause, l’odorat du chien est quarante fois plus développé que celui de l’être humain. Bien pourvu, le chat possède aussi deux cents millions de cellules olfactives. Un atout non négligeable dans les conflits où généralement on ne peut pas se sentir.
En tête de gondole, le cheval. Du transport à la reconnaissance, en passant par la cavalerie, les chevaux ont joué un rôle tout bonnement crucial, et ce toutes guerres confondues. Bien que l’ère de la cavalerie traditionnelle touchait à sa fin avec l’avènement des armes à feu modernes et de la guerre de tranchées, certaines unités de cavalerie étaient encore présentes et utilisaient des chevaux pour toutes sortes de missions déjà énumérées. Cependant l’utilisation de la cavalerie a été limitée et souvent remplacée par des unités montées à moto ou à vélo.
Car les statistiques montrent l’ampleur de la guerre, il est nécessaire de rappeler quelques chiffres éloquents sur les forces en présence, dans ce grand massacre qui n’a épargné ni les hommes et encore moins les animaux. On estime que des dizaines de millions d’animaux ont participé, de manière active ou non, lors de la Première Guerre mondiale. Dans le décompte, 11 millions de chevaux, d’ânes et de mulets, principalement pour transporter des soldats ou pour tracter des armes. Le nombre parait astronomique, mais Il fallait bien six chevaux pour tracter un seul canon. En France, où les combats furent intenses, 60 000 pigeons transmettaient des messages ou prenaient des photographies aériennes.
Les hommes de cette époque ne sont pas insensibles à la souffrance animale, bien au contraire. Dans le livre “À l’Ouest, rien de nouveau” (Im Westen nichts Neues), paru en 1929, de Erich Maria Remarque (1898 – 1970), les chevaux représentaient les soldats et leurs émotions qu’ils cachent soigneusement. Lors des échanges de tirs, certains chevaux ont été touchés et les soldats ont eu l’impression que leurs cris étaient comme “le gémissement du monde, la création martyrisée, sauvage d’angoisse, remplie de terreur”.
« Parfois pourchassés, plus souvent gardés et choyés, ils ont fréquemment aidé les soldats à survivre dans l’enfer, à s’accrocher à la vie, à occuper leur temps. » (Bêtes de tranchées, Éric Baratay)
Au milieu de tous ces anonymes embrigadés avec tant d’autres malheureux, on trouve des héros ou des chanceux, souvent les deux font la paire, qui se démarquent du lot.
Alors que les États-Unis sont entrés en guerre contre l’Allemagne de Guillaume II, un chien appelé ‘Sergeant Stubby’ est devenu une véritable légende, rien de moins. Stubby était un Boston Terrier trouvé par un soldat américain, John Robert Conroy, lors de son entraînement en 1917. Farouche, le chien est devenu le mascotte du 102e régiment d’infanterie et a suivi les soldats sur le front occidental. Il est devenu, comme les 200 000 autres chiens entraînés dans le Grand Suicide, un vétéran sur pattes.
Stubby s’est rapidement révélé être un atout précieux pour les troupes. Il a été formé à détecter les gaz toxiques, à donner l’alerte en cas d’attaque imminente et à retrouver les soldats blessés sur le champ de bataille. Très réactif, il a même été entraîné à reconnaître les uniformes ennemis et à aboyer pour avertir les soldats de la présence de soldats allemands. Participant à plusieurs batailles importantes, notamment la bataille de Château-Thierry et la bataille de Saint-Mihiel, le Boston Terrier a été blessé par des éclats d’obus à plusieurs reprises, mais étonnamment, a toujours survécu. Sa présence a apporté un réconfort moral aux soldats et il est devenu un symbole de courage et de loyauté.
Après la guerre, Stubby est rentré aux États-Unis avec le soldat Conroy. Il a reçu de nombreuses distinctions, dont une médaille de service spécialement créée pour lui par le général John J. Pershing, commandant des forces expéditionnaires américaines en Europe. Ayant obtenu une retraite bien méritée, Stubby est décédé en 1926, mais son héritage est resté bel et bien vivant. Aujourd’hui encore, il est considéré comme l’un des chiens de guerre les plus décorés de l’histoire et est devenu une icône de l’utilisation des animaux dans les conflits armés. Une statue en son honneur se trouve aujourd’hui au Smithsonian National Museum of American History, à Washington, D.C.
Moins terre à terre qu’un Boston Terrier, des milliers de pigeons voyageurs ont été utilisés pour le transport de messages entre les lignes de front. L’un d’entre d’eux est devenu le plus célèbre de cette époque. Nommé “Cher Ami”, il s’agit d’un pigeon voyageur américain qui a été utilisé par les forces armées américaines pendant la guerre. En octobre 1918, lors de la bataille de Verdun en France, une unité américaine se retrouva piégée derrière les lignes ennemies et fut bombardée par ses propres troupes. La situation était désespérée et les soldats étaient à court de munitions et de ravitaillement.
C’est alors que Cher Ami fut envoyé avec un message crucial attaché à sa patte, demandant un soutien immédiat. Malheureusement, en volant vers sa destination, le pigeon fut pris pour cible par des tireurs allemands. Il fut touché par des tirs ennemis, perdant une patte et ayant une aile gravement endommagée. Malgré ses blessures, Cher Ami a continué à voler et a réussi à atteindre sa destination, livrant le message vital à leurs survies. Grâce à son courage et à sa détermination, les soldats américains furent secourus et les tirs amis cessèrent.
Ayant survécu à ses blessures, l’œil gauche en moins en raison de ses blessures, il reçut une médaille spéciale pour acte de bravoure de la part des forces armées américaines et devint une véritable icône de la contribution des pigeons voyageurs pendant la guerre. Cette histoire finalement assez banale met en évidence le rôle crucial joué par les animaux, même les plus modestes comme les pigeons, dans la communication et le sauvetage de vies pendant la guerre. Ils ont démontré un courage incroyable et ont été des alliés précieux pour les soldats sur le terrain.
A l’instar de Vaillant (https://france3-regions.francetvinfo.fr/grand-est/meuse/histoires-14-18-vaillant-le-dernier-pigeon-du-commandant-raynal-1017569.html), le dernier pigeon du commandant Raynal, les épreuves se succèdent, des égards leur sont décernés, mais la réalité de la fin de la guerre en sera moins glorieuse. Les canons tus, les animaux ne rentrent pas sagement au bercail. Beaucoup de chevaux blessés sont sommairement abattus, les Anglais ne veulent ou ne peuvent les rapatrier, et une vente est organisée. ces événements auront tout de même un retentissement et la population anglaise est scandalisée. Grâce à cet écho, une partie sera ainsi récupérée. Mais cette belle histoire ne doit pas cacher le déshonneur des chambres à gaz des fourrières où de nombreux chiens disparaissent manu militari.
La “Der des Ders” n’en sera pas une, une autre guerre se succèdera et d’autres familiers de tous bords se joindront aux combattants. Si les monuments sont plus rares, voire inexistants, il n’est jamais tard pour se rappeler que Jean de la Fontaine se servait des animaux pour instruire les hommes, et rien d’autre. A bon entendeur.
Sources et matériels pédagogiques :
Photographies
© PA Archive/Roger-Viollet
© Collection Maurice-Louis Branger
En savoir plus
– “Bêtes des tranchées – Des vécus oubliés”, Eric Baratay
– 14-18 : des animaux dans la Grande Guerre, L214 https://education.l214.com/actualites-2018-08-22-centenaire-guerre-14-18-animaux
– Les animaux, héros de l’ombre de la Première Guerre mondiale, Paris.fr https://www.paris.fr/pages/les-animaux-ces-heros-de-l-ombre-de-la-premiere-guerre-mondiale-6164
– Animaux morts durant la Grande Guerre : le nécessaire devoir de mémoire https://www.30millionsdamis.fr/actualites/article/14684-animaux-morts-durant-la-grande-guerre-le-necessaire-devoir-de-memoire/