Le manuscrit, témoin de l'histoire écrite
Au Moyen Âge, avant l’invention de l’imprimerie, l’écriture était déjà essentielle. Les manuscrits étaient rédigés à la main sur du parchemin, fabriqué à partir de peaux d’animaux comme le veau ou le mouton. L’encre était composée de suie et d’acide tannique, et les couleurs provenaient de pigments minéraux.
D’abord copiés par des moines dans les monastères, les manuscrits se sont peu à peu diffusés grâce à d’autres copistes, élargissant ainsi l’accès au savoir. Bien que principalement utilisés par les institutions religieuses, ils ont progressivement été adoptés dans l’enseignement.
Dans « Il faut sauver les manuscrits du Moyen Âge », Solange Michon souligne la complexité du déchiffrage de ces ouvrages anciens. Malgré des avancées, certains manuscrits, comme le mystérieux Manuscrit de Voynich, restent indéchiffrables à ce jour. Comprendre leur contenu demeure un défi, révélant toute la richesse et la symbolique de tels ouvrages.
La majorité des manuscrits médiévaux renfermaient des textes religieux relatant la vie des saints, souvent commandés par des seigneurs pour des raisons de propagande. D’autres, en langue romane, décrivaient les exploits de la chevalerie et des croisades. Des œuvres comme Le Roman de Renart offrent un témoignage vivant de la société médiévale à travers des récits aussi captivants que révélateurs.
Créer et réparer
Dans les archives de la Bibliothèque de l’université d’Uppsala, en Suède, se trouvent en pêle-mêle des livres anciens dont certains attirent immédiatement le regard. Rafistolé et recousu, un manuscrit de la Bibliothèque de l’université d’Uppsala (1) a été raccommodé comme une véritable broderie. Soumis aux affres du temps, les pages du livre montrent comme bien souvent des dégâts typiques – sous la forme de trous et de béances, qui se sont produits pendant et après la réalisation du parchemin. Cependant, quelque temps après la copie du ledit ouvrage, ces imperfections ont été manipulées artistiquement avec de la soie de différentes couleurs, comme une décoration d’un tissu à retravailler.
Loin d’être unique, ces réparations de fortune sont, en fait, légion. La préparation de la peau d’animal, première étape de la production d’un livre médiéval, était un extraordinaire défi. La préparation du parchemin nécessitait de se débarrasser de la chair et des cheveux. Attaché à un cadre en bois, le parcheminier devait gratter les parties charnues d’un côté et les poils de l’autre. Si le couteau rond du parchemin (lunellum) coupait trop profondément pendant le processus de raclage, des déchirures ou des trous allongés apparaissaient. Si certaines coupures étaient simplement recousues à l’aide d’une fine cordelette de parchemin, il arrivait aussi que des corrections soient tout bonnement appliquées.
Toutes les peaux n’étaient de bonnes qualités, et le copiste devait pourtant s’en accommoder. Créatif, il pouvait l’utiliser à son avantage en le décorant ou faisait du défaut une explication à travers la page précédente. Certains parchemins avaient des défauts inhérents à un type particulier de follicule pileux de l’animal. Dans l’impossibilité d’éliminer l’imperfection, le moine copiste devait alors écrire autour ou à côté. En amont de cette étonnante élaboration, une peau de parchemin raconte une histoire. Si l’animal était un mouton, une chèvre ou encore un veau, on peut en déduire son origine. Par exemple : l’utilisation de chèvre renvoie souvent à des ateliers en Italie.
Il arrivait également qu’un système de récupération – écologique avant l’heure, se fasse pour réutiliser afin d’améliorer ou de peaufiner un autre manuscrit. Un autre ouvrage (2) imprimé du XVIe siècle montre des fragments médiévaux du XIIe siècle dissimulés à l’intérieur. Il s’agit tout bonnement d’un processus de recyclage : les fragments sont placés dans les reliures afin de renforcer le corps du livre. Cet exemplaire qui appartient à la Bibliothèque Universitaire de Leiden nous dit également une vérité qui semblait s’éluder à nos connaissances modernes : la fabrication d’une telle œuvre pouvait coûter cher, très cher, d’où sa réutilisation pour des ouvrages plus récents.
Le parchemin médiéval a été le matériau typique pour les livres entre le Ve et le XIIIe siècle. La peau animale a remplacé le papyrus (standard jusqu’au Ve siècle) avant d’être détrôné progressivement par le papier aux XIIIe/XIVe siècle.
Le mythe des gants blancs
Doit-on porter des gants pour manipuler des manuscrits anciens ? Mythe récurrent, il est en fait recommander de ne pas en porter hormis quelques exceptions, selon la Bibliothèque du Congrès de Washington.
Selon eux, porter des gants lors de la manipulation de livres anciens peut faire plus de mal que de bien. Contrairement à une idée reçue, les gants ne sont pas forcément recommandés pour manipuler des livres rares ou précieux.
Des gants (nitrile ou vinyle) sont toujours recommandés s’il y a lieu de suspecter un danger pour la santé (moisissure, arsenic). Des gants propres sont également recommandés lorsque vous manipulez des albums de photographies ou des livres avec des parties en métal ou en ivoire.
En dehors de ces situations particulières, il est généralement préférable de manipuler ses livres avec des mains propres, lavées au savon et soigneusement séchées, plutôt qu’avec des gants.
Un objet de convoitise
Bien avant la bonne fée numérique, la matérialité d’un ouvrage reste bien souvent onéreux provoquait la convoitise : les probabilités d’un vol inopiné pouvaient toujours se produire. Qu’à cela ne tienne, dans la bibliothèque de Zutphen (3) aux Pays-Bas, ces livres enchaînés sont toujours bien gardés, la rouille en est la preuve. Avant l’accessibilité apportée par l’imprimerie (4), les ouvrages de qualité étaient incroyablement rares et précieux. Il fallait donc une méthode de protection, et ce quelle que soit sa forme.
La Librije, bibliothèque enchaînée de Zutphen, a été construite en 1564 dans l’église Sainte-Walburge. Disposant d’incunables, il s’agit d’une des très rares bibliothèques enchaînées au monde encore intactes, avec l’aspect folklorique qui en découle. Chaque livre est équipé d’un fermoir métallique, généralement sur la couverture arrière, puis une chaîne en fer est attachée et enfilée à travers une longue tige en métal. Les ouvrages sont ainsi verrouillés, soit sur un pupitre, soit directement à une rangée de la bibliothèque.
Sans méthode de production de masse, chaque livre devait être copié à la main, ce qui prenait des milliers d’heures de travail. À la fin du Moyen Âge, lorsque les bibliothèques accessibles au public ont vu le jour, les livres étaient souvent enchaînés aux étagères. Seul le bibliothécaire et/ou moine pouvait retirer les livres de la chaîne à l’aide d’une clé. Avec l’apparition de l’imprimerie, les livres sont devenus plus accessibles, entraînant une baisse considérable de leur valeur.
Au sein de la Librije de Zutphen, soixante clés ont été ainsi délivrées, non seulement aux chanoines, mais aussi aux habitants de la ville triés sur le volet pour en faciliter l’accès. Quelques brassées non loin de la Manche, la bibliothèque enchainée de Hereford (6) en Angleterre dispose, elle aussi, du même dispositif. Fondée en 1611, c’est l’un des plus grands exemples de bibliothèque enchaînée avec plus de 220 manuscrits (dont les célèbres évangiles de Hereford datés du VIIIe siècle).
Autre exemple pertinent, la Bibliothèque Malatestiana (5) à Césène, en Italie. Construite entre 1447 et 1452 par le seigneur Malatesta Novello, cette réalisation dissimulait sous ses apparences nobles une ambition véritablement visionnaire : il désirait créer un espace public de lecture accessible à tous. Allant à contre-courant des pratiques de l’époque, Malatesta souhaitait ainsi établir une bibliothèque véritablement ouverte à chacun. Pour bien faire, les clés de la bibliothèque ont été données aux moines, ainsi qu’aux fonctionnaires de la ville. Il s’agit, en toutes vraisemblances, des premières pierres figurées d’une bibliothèque publique dans notre acception moderne.
À la fin des années 1800, la pratique d’enchaîner les livres aux étagères a disparu. De nos jours, seules quelques rares bibliothèques enchaînées subsistent, et ce, uniquement pour des raisons de conservation.
Le livre, objet en voie de disparition ?
Sur ces deux photographies, vous pouvez voir, à gauche, la bibliothèque de Celsus, à Éphèse. Construite en 117 après J.-C., elle contenait pas moins de 12 000 rouleaux. C’était la troisième bibliothèque la plus riche de l’Antiquité après celles d’Alexandrie et de Pergame. Incendiée par les Goths, une poignée des rouleaux seulement y survivra. A droite, le bibliobus, une bibliothèque mobile utilisée pour fournir des livres aux villages et banlieues de la ville qui n’avaient pas accès à la bibliothèque. Cette initiative est passée d’une simple charrette tirée par des chevaux au XIXe siècle à de grands véhicules personnalisés. Ce comparatif quelque peu abscons nous dit tout de même une chose essentielle : la transmission est nécessaire, qu’importe le format utilisé.
Livre papier ou numérique, le constat de la lecture reste de nos jours bien quantifiable : selon une étude de la Sofia, SNE et SGDL de 2022, en France, 47.7 millions de personnes lisent des livres imprimés, 13,5 millions lisent en numérique, 6.6 millions lisent des livres audio numériques et 7.9 millions des livres audio physique. On comptabilise 800 000 lecteurs audio numérique de plus qu’en 2021. (9) Quand bien même les discussions autour de la nécessité de la matérialité physique du papier, il n’est pas encore prêt à disparaître, loin s’en faut.
Ainsi, comme le disait l’orateur romain Cicéron à la fin d’une lettre à Varron : « Si vous possédez une bibliothèque et un jardin, vous avez tout ce qu’il vous faut » (10), l’apophtegme n’en deviendra que plus vrai à l’heure de Google et de ceux qui veulent en oublier jusqu’aux racines latines.
Sources et références
1) Le manuscrit date du XIVe siècle et appartenait à la bibliothèque monastique du couvent de Vadstena après son achat à Constance en 1417. Cf. Uppsala Universitet.
2) Bibliothèque Universitaire de Leiden
3) Vous pouvez retrouver les informations de ce fil ainsi que bien d’autres sur le site de la Librije
5) Bibliothèque de Malatestiana
7) Actuellement à la Bibliothèque de l’Université de Pennsylvanie
8) https://manuscripta.hypotheses.org/
9) Baromètre des usages du livre numérique audio et papier – Chiffres clés 2022
10) “Si hortum in bibliotheca habes, deerit nihil”
En savoir plus
– Le parchemin, support privilégié des manuscrits médiévaux, BNF/Gallica
– Préparation d’un parchemin, Université Montpellier 3
– « Si tu possèdes une bibliothèque et un jardin, tu as tout ce qu’il te faut », Jean-François Géraud