L’expédition Belgica
L’expédition Belgica

L’expédition Belgica

En terrain inconnu

Dans une photographie datée de mars 1898, le navire Belgica, sous le commandement d’Adrien de Gerlache, semble égaré dans une immensité encore vierge de toutes découvertes. Piégé par les glaces, dans des conditions précaires de survie, l’équipage affrontera le tout premier hivernage de l’histoire en Antarctique. Plus étonnant encore est ce voyage sous un patronage belge où se côtoient à bord de futurs grands noms comme Frederick Cook ou Roald Amundsen.

KBR et Belgica Gennotschap Archives

Petit pays mais à grande envergure économique, sa tradition maritime était pourtant bien maigrichonne face aux autres nations européennes et le pari d’une telle entreprise, alors bien risqué. Le récit que nous fera les différents intervenants marque une année d’isolement, entre souffrances physiques et mentales, mais célèbre aussi une obstination notable dans un but scientifique et de notoriété. Grandeur ou hybris, ces expéditions mettent en avant la conscience des hommes qui ont de tous temps sillonné les mers, l’exploit au bout de la longue vue.

« On s’attendait alors à ce qu’une expédition britannique/américaine se charge de cette mission, avec l’appui éventuel des pays scandinaves. Cependant, ils seront devancés par un jeune officier de marine originaire d’un tout petit pays sans véritable tradition maritime. »
Adrien Gerlache

Parti en fanfare le lundi 16 août 1897, la foule agglomérée près du navire s’enthousiasme à son départ. À ce moment précis, nos marins n’imaginaient pas encore les périls à venir. En février 1898, la Belgica arrive à la moitié de sa traversée de l’océan Atlantique. La progression est monotone et éprouvante, avec des vents alizés faibles qui obligent l’équipage à utiliser le moteur. La température est élevée, atteignant 40 degrés Celsius, et les cabines sont isolées en prévision du froid, ce qui oblige les hommes à dormir dans des hamacs sur le pont.

Ces informations au quotidien proviennent des écrits de l’équipage. Le jeune Roald Amundsen, âgé de 25 ans, tient un journal de bord captivant sur son expérience. Ce journal ne sera traduit en anglais qu’en 1998, et la traduction française est toujours attendue. Le Norvégien était un passionné d’exploration polaire qui, par un heureux hasard, rencontra Adrien de Gerlache alors qu’il cherchait un navire pour son exploration. Culotté, il demandera au capitaine belge de l’embarquer, bénévolement.

Illustration Clerice

Les jours suivants se passeront tels un agréable séjour de plaisance, un quatre-mâts français fera même l’honneur de leur crier “Vive la Belgique ! Vivent les hardis explorateurs !” au détour de quelques vagues emportées, comme l’indique le journal d’Amundsen. Le début du mois d’octobre en est même paradisiaque, à la lecture des quelques mots du capitaine : “Il nous arrive de rester de longues heures sur le pont, sous le charme des belles nuits tropicales, bercés par le clapotement monotone de l’eau sur notre coque, de nos yeux grands ouverts nous contemplons les milliers d’étoiles scintillantes qui emplissent le ciel et semblent grésiller en se reflétant dans la mer […]”

Les beaux jours se terminent au Brésil, une fois arrivé dans la rade de Rio, le 22 octobre 1897. Frederick Cook fait grands louanges de l’accueil réservé à la Belgica et indique avec émotion que ce fut le moment le plus agréable de toute l’expédition. Si la fée internet n’existait pas encore, les scènes de liesse ont été plaisamment conservées par écrit, et les Belges les liront dans le Journal de Bruxelles quelques semaines plus tard seulement. Le mois de novembre, lui, sera fidèle à sa réputation, le froid prenant une place proéminente. A Montevideo, les choses se gâtent alors que des problèmes latents de discipline prennent de l’ampleur. Un cuisinier français, qui insultait régulièrement ses coéquipiers, fut licencié. Un comparse cuistot suédois prendra sa place.

Le 29 novembre 1897, la Belgica s’engouffre dans le détroit de Magellan. Le capitaine décide d’élargir le champ d’étude de l’expédition polaire à la Terre de Feu, sa faune et flore, ainsi que sa population autochtone, alors largement décimée. Le 30 novembre, des vents violents obligent Adrien de Gerlache à jeter l’ancre dans Gregorian Bay, une région d’aspect jaunâtre, nous dira Roald Amundsen. La Patagonie ne plait guère à l’équipage, en particulier à Frederick Cook. Le premier décembre de la même année, à Punta Arenas, Adrien de Gerlache s’approvisionne en charbon. Cette ancienne colonie pénitentiaire est le déclencheur du premier vrai incident à l’intérieur même de la Belgica.

En effet, l’expédition prend du retard en raison de problèmes de discipline à bord, notamment des abus d’alcool, des refus d’obéissance et des désertions. Le commandant de Gerlache débarque plusieurs membres d’équipage, dont le cuisinier, qui est remplacé par un matelot enthousiaste, mais inexpérimenté. Le 4 décembre, presque pour conjurer le mauvais sort des derniers jours, Roald Amundsen, Emile Racovitza et le géologue polonais Henri Arctowski explorent les montagnes de Patagonie, et, au détour d’une rivière, boivent du café en fumant un cigare. Derniers moments d’insouciance de l’équipage.

Au cours du périple, Frederick Cook se rend compte que les cartes sont notoirement incomplètes. “Nous avons comptabilité une vingtaine d’îles qui n’étaient pas indiquées sur les cartes”, dit-il, mais le capitaine tend à minimiser ces imperfections : ” […] si imparfaite que soit celle-ci, nous sommes saisis d’admiration profonde pour les marins qui l’ont dressée et qui ne disposaient que de bâtiments à voile pour parcourir ces parages dangereux, semés d’écueils, et où la tempête est la règle.”

Plus téméraire, la jeunesse d’Amundsen le pousse à explorer une chaîne de montagnes d’environ cinq-cent-cinquante mètres de haut, dans une petite baie de la rive nord de l’île Londonderry. Instinct scandinave peut-être atavique, il traverse sans geindre petits lacs et marais, couvert de boue et trempé jusqu’aux os, et s’échine à vouloir atteindre une cascade. “J’ai entamé l’escalade. Tout est fatigant dans la montagne, que ce soit au pays ou ici. On continue toujours en pensant que l’objectif est proche, mais non, il est encore très loin.” Ces quelques mots prémonitoires, ce 17 décembre, lui raviveront peut-être le corps et l’esprit, alors qu’ils seront emprisonnés dans la glace et soumis à une rudesse peu commune, au fin fond de l’Antarctique. Le lendemain, en compagnie d’Henri Arctowski, ils escaladeront de nouveau un sommet, “chacun avec un biscuit en poche”, précise-t-il. Ils cartographieront le lieu, plus tard nommé carte de Tierra del Fuego.

Le 24 décembre, Adrien de Gerlache souhaite débarquer l’équipage pour vivement fêter Noël comme il se doit. Un feu de forêt leur fait un signe du destin : il s’agit, en fait, deux Amérindiens qui ont allumé un feu pour signaler leur présence. Mal éteint, il s’est propagé. L’équipage saute dans les chaloupes pour éteindre l’incendie. De retour à bord, le capitaine fait jouer la Brabançonne et distribue des cadeaux : jeux de société, vêtements, tabac et pipes. Après avoir récupéré les jours suivants les quarante-cinq tonnes de charbon distribués par l’Argentine, ils repartent dans un bateau nettoyé de fond en comble.

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Le passage à Ushuaïa n’a pas été aussi fructueux qu’escompté, et il manque cruellement de la viande pour les hommes. De Charybde en Scylla, ce premier janvier 1898 marque également une avancée pour le moins rocambolesque. Dans l’obscurité, la Belgica s’échoue sur un récif très accore, couvert de 5m50 d’eau environ. Coincés comme dans un collet de lapin, ils s’évertuent à s’en dégager, aidés par un éleveur de mouton passant par hasard dans la région ainsi que d’une vingtaine d’Amérindiens Onas. Malgré de grands efforts, le transvasement du charbon et de l’eau, la Belgica semble résignée à son sort. En outre, la capricieuse météo passe son regard maussade sur nos protagonistes. “L’Expédition Antarctique Belge terminée avant d’être commencée ! C’est la défaite avant le combat !”, s’exclame désespérément le commandant de bord.

Tout semblait perdu. Le navire s’inclinait dangereusement, une averse violente et des vagues dangereuses giflaient la coque et le pont, raconte Amundsen dans son journal. Mais la pugnacité du commandant, dit-il, était toujours bien présente, le visage pâle mais retrouvant son calme habituel ; il se rendit sur la passerelle et en faisant tourner le moteur à plein régime, il donna l’ordre de tirer. La Belgica se redressa, tangua encore un peu et se dégagea. Le capitaine avait sauvé son navire. L’accident nous a donné confiance en l’avenir, dit Arctowski et insiste ainsi sur l’aspect positif de l’événement enduré. Georges Lecointe se confie en des termes guillerets : “Rien ne nous effraye plus : nous naviguons, en riant, poussés par la tempête ; nous longeons la côte de l’île Navarin, où, à 7 heures du soir, la petite baie de Porto Toro nous offre un délicieux abri.”

Une rencontre étonnante va égayer nos Argonautes, dans le petit port d’Harberton. Mister Bridges est un Anglais qui a dirigé la mission anglicane d’Ushuaïa avant de devenir éleveur de moutons, non loin d’un campement amérindien. Henri Arctowski, Frederick Cook et Georges Lecointe les rencontreront. « Une livre sterling pour chaque Ona tué sur leurs terres, tel est le prix fixe que les riches éleveurs qui possédaient dorénavant les plaines de la Terre de Feu rémunèrent aux misérables dont le seul moyen de subsistance était le meurtre », s’indigne Adrien de Gerlache.

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Après tant de turpitudes, la Belgica met finalement le cap sur l’Antarctique, en ce 14 janvier 1898. L’équipage cartographie les fonds marins du passage de Drake, un détroit dangereux. Les conditions météorologiques sont favorables, et les hommes effectuent des sondages jusqu’à 4 040 mètres de profondeur. Le 22 janvier, la Belgica approche des îles Shetland du Sud. Une tempête se prépare et un dalot (2) est bloqué par un tas de charbon. Le matelot Carl-Auguste Wiencke tente de le dégager, mais tombe à l’eau. Georges Lecointe tente de le sauver, en vain. Le premier vrai malheur s’empare de l’expédition. Une tristesse prégnante règne à bord. Dans son carnet, “Au pays des manchots : récit du voyage de la Belgica“, le second du navire, complètement désemparé, se confie :

« Quelle triste, triste nuit ! A bord régnait une véritable consternation. Un mort déjà, tout au début de notre campagne ! Combien de victimes l’expédition ferait-elle ? En était-il un seul d’entre nous qui reverrait le pays ? A qui le tour maintenant ? »
Adrien Gerlache

Le 27 janvier, ils s’époumonaient tous à trouver une entrée vers la mer de Weddell située de l’autre côté de la terre de Graham. Un passage mène finalement à un détroit dans un paysage blanc éthéré. Le capitaine tient à évoquer cette sensation unique dans son journal :

« Nous n’avons pas assez d’yeux pour contempler ces hautes falaises qui plongent dans la mer, ces baies où dévalent des glaciers, ces aiguilles qui pointent dans le ciel. Tout cela est sauvage, stérile, dénudé : ce sont pourtant nos richesses, puisque ce sont nos découvertes. »
Adrien Gerlache
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L’expédition explore pendant trois semaines le détroit de Gerlache, qui deviendra la principale destination touristique de l’Antarctique. La faune est omniprésente : oiseaux, baleines, phoques et pingouins. Amundsen évoque des groupes de baleines qui nageaient autour du bateau. Elles faisaient surface tout près du bateau et nous regardaient avec étonnement, dit-il, amusé. Les scientifiques débarquent vingt fois et nomment les lieux qu’ils découvrent, en s’inspirant de leur pays d’origine. Adrien de Gerlache et son équipe campent huit jours sur l’île Brabant pour tester les skis et les traîneaux. Le détroit découvert par l’expédition belge est baptisé détroit de Gerlache en l’honneur de son commandant.

La Belgica quitte le détroit de Gerlache le 14 février. La saison estivale est déjà bien avancée, mais Adrien de Gerlache est déterminé à poursuivre l’expédition. Il pénètre dans la mer de Bellinghausen, où il doit se battre contre la glace chaque jour. De Gerlache sait que les risques sont grands, mais il est convaincu qu’il y a quelque chose de plus à découvrir au-delà de la banquise. Prenant à bras le corps une décision lourde de conséquence, il s’y engouffre. Une tempête ébrèche la banquise et ouvre une voie, quelques jours plus tard. l’occasion est trop belle pour le commandant de bord d’y passer à côté. Cent-soixante-sept kilomètres sont parcourus. Cependant, le 4 mars, la glace se referme et l’expédition se retrouve prisonnière à – 71°22’S de latitude et – 84°55’W de longitude. Le risque en valait-il réellement la peine ?

Les premiers contrariés sont les scientifiques, ils maugréèrent et se demandent avec angoisse ce qu’ils vont devenir. Rapidement, l’insatisfaction se transforme en réflexion sur l’opportunité présentée : un hivernage dans l’Antarctique est inédit et présente une mine d’informations encore jamais révélées pour eux. Pendant l’hivernage, les explorateurs s’occupent de la Belgica, des relevés scientifiques et de leur survie. Ils réaménageront le navire, effectueront des observations météorologiques et magnétiques, pêcheront et chasseront, fabriqueront des vêtements, entretiendront le navire et feront fondre la neige pour en faire de l’eau potable.

« La Belgica immobile, les cordages raidis par le gel et couverts de givre, ne décelant un peu de vie que par la légère fumée qui s’élève au-dessus du pont, à l’avant et à l’arrière, prend l’aspect d’un vaisseau fantôme. […]Ici, tout clame et bruit, non pas la vie, mais la destruction et la mort : grondement sourd et continu qui monte angoissant de l’immense banquise mouvante où la glace convulsée lutte constamment. (20 mai 1898) »
Adrien Gerlache

À la fin du mois de mai, la banquise se met à bouger, le bruit qui en résulte est particulièrement inquiétant pour l’équipage. Les hommes vivent des heures angoissantes, écoutant les craquements de la glace qui se fissure sous leurs pieds. Émile Danco, atteint d’une cardiopathie, ne peut supporter le froid polaire et meurt tristement le 5 juin. Sa mort plonge l’équipage dans le deuil. Les journées d’insouciance en Amérique du Sud semblent désormais bien lointaines.

« Oh ! combien nous avons besoin de lumière et de chaleur ! L’anémie polaire a laissé sur nous des traces de profonds ravages : nos traits sont tirés, nos yeux ternes et sans vie ; il n’a pas fallu plus de 1 600 heures de nuit ininterrompue pour faire de nous des vieillards. »
Georges Lecointe
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Le manque de lumière plonge l’équipage dans l’obscurité, provoquant dépressions, maux de tête, insomnies, arythmies cardiaques et épuisements. La carence en viande fraîche entraîne le scorbut, une maladie qui affaiblit les défenses immunitaires. L’humidité à bord aggrave les problèmes de santé. L’équipage est décimé, la plupart des hommes étant contraints de rester alités.

La souffrance est omniprésente, tant sur le plan physique que mental. L’isolement, l’ennui, l’incertitude et la peur plongent l’équipage dans une profonde détresse. Le matelot Tollefsen perdra progressivement la raison et ne s’en remettra jamais. Le chat Nansen, mascotte de l’équipage, refuse de se nourrir et une nuit polaire finira par l’emporter. Seuls les rats semblent s’épanouir dans ce contexte hostile.

« Le 13 juillet 1898. – Je ne suis pas mort ! Le coma dans lequel j’ai été plongé hier n’a même pas duré fort longtemps. […] quelques heures plus tard, je me suis éveillé beaucoup plus solide. »
Georges Lecointe

Le docteur Cook impose des règles strictes à l’équipage pour lutter contre le scorbut et la dépression. Il oblige les hommes à se chauffer devant le poêle torse nu, à manger de la viande de pingouin ou de phoque, même si elle est crue, et à faire une promenade quotidienne autour du bateau. Cette dernière activité, surnommée la “promenade de la maison des fous” (madhouse walk), est censée aider à maintenir le moral des troupes.

Le 21 juillet, le soleil revient enfin après une longue nuit polaire. Les hommes sont soulagés et leur santé s’améliore. Ils reprennent leurs activités avec entrain, notamment le travail scientifique, la pêche et la chasse. La banquise revit également. Est-ce que les méthodes de Cook en sont directement la cause ? Cela reste une inconnue, encore aujourd’hui.

« 8 août. Ce soir, nous avons joué au whist. Comme nous n’avons pas d’argent, chacun de nous dispose d’une bourse de haricots. On commence par jouer raisonnablement, puis l’enjeu monte à des sommes fantastiques. […] Mais tout lasse… »
Georges Lecointe

Pour rompre la monotonie, les trois hommes les plus valides de l’équipage, Georges Lecointe, Roald Amundsen et Frederick Cook, entreprennent une expédition vers un iceberg tabulaire. Ils traversent la banquise, divisée en champs de glace, séparés par des crevasses et des rivières imprévisibles. Ils construisent un igloo et y passent deux nuits paisibles. Le lendemain matin, ils ne voient plus la Belgica et décident de rebrousser chemin. Ils y parviennent avec difficulté. Désormais, ils décident de rester à proximité du bateau. La Belgica continue à dériver vers le sud-ouest, mais, à leur grand dam, n’approchera jamais le continent.

Le printemps antarctique est rigoureux, avec des températures glaciales et des tempêtes de neige. L’équipage est à nouveau malade et certains, comme Adrien de Gerlache et Georges Lecointe, rédigent leurs dernières volontés. En octobre, tous espèrent que la glace va se briser, mais le navire est toujours prisonnier. Le désespoir s’installe avec fracas. Frederick Cook, constatant que le soleil et le dégel ne suffiront pas, galvanise ses coéquipiers. Un deuxième hiver au pôle Sud est inévitable.

Un sursaut salvateur commence à germer chez certains hommes : Frederick Cook propose de briser la glace avec des scies, mais l’idée est abandonnée après une semaine de travail infructueux. Adrien de Gerlache propose alors de creuser un canal, mais la glace est trop épaisse. Le sort s’acharne mais nos protagonistes se démènent pour ne pas retomber dans l’inaction et l’apathie.

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« Le 14 février – Il ne nous restait plus à dégager que l’arrière du navire. Nous recourons une fois encore à la tonite. Tout cela est fort dangereux… Mais il n’y a pas une minute à perdre, le moindre retard peut nous bloquer à nouveau pour tout un hiver. »
Georges Lecointe

L’équipage de la Belgica élabore un plan B : équiper la meilleure chaloupe pour tenter une traversée vers le cap Horn. Pendant trois semaines, deux équipes travaillent jour et nuit pour élargir le canal. Georges Lecointe fait exploser les plus gros morceaux de glace à la tonite. Le temps presse, les températures chutent et les mouvements de glace menacent de refermer le canal. Le 15 février, en pleine nuit, un passage est ouvert. Les efforts surhumains de l’équipage sont enfin récompensés : la Belgica peut enfin naviguer en marche arrière dans le canal. Il faudra encore un mois pour traverser les onze kilomètres de mer gelée, mais le 14 mars, le navire atteint enfin la haute mer. La délivrance semble proche mais…

Deux semaines plus tard, la Belgica manque de s’échouer en Terre de Feu. Le 28 mars, le navire arrive enfin à Punta Arenas. Les dix-sept survivants de l’expédition peuvent enfin fouler la terre ferme. Ils sont exténués et ont oublié comment marcher normalement. Ils trouvent un lit confortable à l’Hôtel de France où ils se remettent de leur aventure.

L’expédition s’achève. La plupart des membres de l’équipage se dispersent. Les scientifiques et leurs échantillons embarquent sur un paquebot pour l’Europe. Roald Amundsen et son compatriote Tollefsen rentrent chez eux. Le docteur Cook retourne chez les Amérindiens Onas. La Belgica, à court de charbon, prend la direction de la Belgique à la voile. Adrien de Gerlache est accueilli triomphalement à son arrivée le 5 novembre 1899

Adrien de Gerlache a encore de nombreuses tâches à accomplir. Il doit justifier son échec à accomplir la deuxième partie de l’expédition et trouver les fonds nécessaires pour payer la prime de départ des marins. L’État belge lui versera cette prime en échange du titre de propriété de la Belgica. Accueilli triomphalement dès son arrivée le 5 novembre 1899, Adrien de Gerlache ne retournera jamais en Antarctique.

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Et le navire qui a survécu à tant d’épreuves, que devient-il ? Vendue à un Norvégien en 1916, il sert d’abord au transport de charbon, puis de poissonnerie à Harstad. Adrien de Gerlache, qui séjourne souvent en Norvège, ne souhaitera pas la revoir dans un tel état. En 1940, la Belgica est utilisée comme dépôt de munitions par les Alliés britanniques. Elle est coulée en 1940, soit par un raid aérien allemand, soit par les Britanniques pour éviter qu’elle ne tombe aux mains de l’ennemi. La vérité reste encore ouverte à ce jour. Actuellement, elle repose toujours au fond d’un fjord norvégien, tapie dans l’ombre de l’eau bleutée qui a éconduit tant d’explorateurs.

Références

http://www.unice.fr/zetetique/articles/JT_pole_nord.html

1. Qui fut le premier conquérant du pôle Nord ? Cook ou Peary ? Ou aucun des deux ? http://www.unice.fr/zetetique/articles/JT_pole_nord.html

2. trou percé dans le pont communiquant avec le bordé au-dessus de la ligne de flottaison. Cette ouverture permet l’écoulement des eaux embarquées.

Bibliographie

Adrien de Gerlache de Gomery : Quinze mois dans l’Antarctique, Paris : Hachette ; Bruxelles : Lebègue, 1902. Version numérique chez KBR et Gallica https://uurl.kbr.be/1935005 et https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k73530f
Cook, Frederick A. ; Pfinder, A.-L. (adaptation française): Vers le pôle sud : l’expédition de la Belgica, 1898-1899. Bruxelles : Librairie Falk fils, 1902. Version numérique anglaise https://publicdomainreview.org/collection/through-the-first-antarctic-night-1900
Lecointe, Georges : Au pays des manchots. Récit du voyage de la Belgica, Bruxelles : Lebègue, 1910. Version numérique https://archive.org/details/Aupaysdesmancho00Leco

Sources

Vous pouvez retrouver l’intégralité du récit de Georges Lecointe sur ce lien : Au pays des manchots : recit du voyage de la “Belgica” https://archive.org/details/Aupaysdesmancho00Leco/mode/2up

Les informations de cet article proviennent principalement du site de la KBR. “Story map” sur l’ensemble de l’expédition https://ign-ngi.maps.arcgis.com/apps/MapJournal/index.html?appid=4f2defdbbffa4ec3a011ab27fabb27a3

Toutes les illustrations proviennent de la KBR et de la Belgica Gennotschap. http://www.belgica-genootschap.be/components/photogallery.php?Itemid=6

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