Parlez-vous wallon ?
Parlez-vous wallon ?

Parlez-vous wallon ?

Parlez-vous wallon ?

Un long méandre

La première occurrence écrite du mot wallon provient des Mémoires du seigneur de Haynin et de Louvignies en 1465.

Une distinction entre “Vallons” et “Liégeois” nous permet de découvrir un groupe d’individus pratiquant la langue thioise.

Jean de Haynin est un chevalier de noble extraction au service des armées de Philippe le Bon et de Charles le Téméraire. Indépendamment de participer aux campagnes militaires, il va ainsi relater les événements en laissant de côté son point de vue politique, sans mécénat quelconque ou flagornerie déplacée.

Au jour le jour, Jean prenait des notes pour ensuite les recopier dans un manuscrit (1). Dans son récit, une description minutieuse de l’armée bourguignonne y est consignée ; le nombre de combattants affairés, les différentes localisations des logement, etc. Et c’est au détour de la description de la bataille de Montenaeken, le 20 octobre 1465, que cette distinction entre des Vallons et des Liégeois nous interpelle :

« les dis Liégeois crioite ‘Sain Denis et Sain Lambert’, les Valons et les Tiesons crioite ‘Mourregot’ » (Mourregot signifie Marie, moeder got).

Les Vallons décrits ici désignent les populations romanes des Pays-Bas bourguignons. Parlant la langue thioise, usitée par les populations septentrionales de langue d’oïl, Jean de Haynin entrouvre une porte sur lesdits Wallons, bien des siècles avant la formation d’une nation wallonne.

Attesté dès le XVe siècle, le terme “wallon” est bel et bien connu, aussi bien en adjectif qu’en substantif. Les Germains utiliseront le mot “Walha” (2) pour les désigner, autrement dit les Celtes romanisés (mais aussi les Romains) habitant le long de leur frontière (sud et ouest de leur régions). Nonobstant la désignation, cela ne signifie pour autant pas que les Walha aient constitué un peuple, sans même pour autant désigner ipso facto les ancêtres des habitants de l’actuelle Wallonie.

« L’orthographe est différente. Ce n’est plus ici du français, mais bien du wallon, du rouchi, tel que le parlent encore les paysans du Hainaut. » (3)

Illustration "Connaître la Wallonie" © Région wallonne

La gestation du mot “Wallonie”

En 1886, Albert Mockel choisit comme titre de sa revue littéraire le mot “Wallonie”. Il ne tombe pas forcément sous le sens, car il s’agit d’un néologisme qui désignera in fine la partie romane de la Belgique. Après le chant en 1900 (cf. note en bas de l’article *), un drapeau est désigné dès 1913. Attesté en 1844 par le poète namurois Joseph Grandgagnage, le mot Wallonie s’employait alors pour une désignation géographique et humaine. La notion politique viendra bien des décennies plus tard.

Dans ce siècle où se forge à grand coup de plumes autant les idées que les noms par lesquelles elles n’existeraient pas, les périphrases “provinces wallonnes” ou encore “pays wallon” s’utilisent largement.

Mais d’où vient cette population ?

Les Celtes vont s’implanter en 450 avant J.-C. dans ce qui est aujourd’hui la Wallonie. Outre un artisanat de qualité qui serpentera dans plusieurs circuits commerciaux, ils excellent dans la métallurgie, pratiquant ainsi la forge, et seront réputés pour leurs bas-fourneaux.

Après la conquête de la Gaule en 57 avant J.-C. par Jules César, un élément déterminant va façonner cette peuplade : une romanisation en profondeur. Devenus Gallo-romains, ils abandonneront progressivement le patois celte au profit du latin.

Après l’effondrement de l’empire romain au Ve siècle, les invasions germaniques, à l’instar des Francs, essaimeront dans cette espace jadis dominé par la romanité. Concomitant de cette grande période de trouble, le christianisme se diffusera en Wallonie. Tournai deviendra la capitale des Mérovingiens, mais également le siège épiscopal au VIe siècle. Gorgé de monastères, le territoire wallon profitera d’un rayonnement intellectuel important.

Le premier châpitre de la Toison d'Or (1893-1900), Albrecht De Vriendt

Au VIIIe siècle, les Carolingiens, originaires de la Basse-Meuse, détrôneront les descendants de Clovis. Situé au cœur de l’empire de Charlemagne, le territoire wallon devient le centre de toutes les attentions. Le partage du traité de Verdun en 843 annoncera dès lors une longue période de morcellement et de partition. En jeu dans cette guerre de successions : l’espace wallon, la Francie occidentale de Charles le Chauve et la Francie médiane de Lothaire.

Au Xe siècle, les villes vont s’accroître et l’essor des compagnes, ainsi que des monastères, ne diminueront en rien. Au sein de cette Wallonie, Liège inaugurera la politique de l’Église impériale d’Otton 1er. L’exploitation du charbon s’intensifie, l’orfèvrerie et plus encore la civilisation mosane prospèrent, et, bientôt, les princes cèderont de nouvelles libertés aux villes. L’une d’entre elles, Huy, se verra octroyer l’une des premières chartes d’Europe du Nord. (4)

Du wallon au français

Mais qu’en est-il de la langue dans tout ce bouillonnement intellectuel ? Le français finira par remplacer progressivement le latin comme langue d’administration et littéraire. Mais avant ce constat implacable, la résistance héroïque de bon nombre de patois s’est longuement fait entendre dans un amalgame de territoires soumis aux conquêtes.

Les foyers de la langue wallonne se situe sans grande surprise dans la plus grande partie du territoire de la Wallonie actuelle ; au centre et à l’est, débordant quelque peu sur le territoire actuel de la France dans la bouche de Givet ; le picard à l’ouest ; le lorrain au sud ; le champenois. En termes de dialecte, on distingue le liégeois, le namurois, deux zones de transition entre le wallon et l’ouest, le wallo-picard ou ouest-wallon, et au sud, le wallo-lorrain ou sud-wallon.

Les frontières linguistiques ne sont pas équivalentes à celles d’un territoire donné. La Belgique romane ne coïncide pas avec la région wallonne (qui englobe les régions d’Eurpen et de Saint-Vith, où l’on parle des dialectes germaniques rhéanns).

eo.

Nous sommes fiers de notre Wallonie, Nos-èstans fîrs di nosse pitite patrèye, Le monde entier admire ses enfants. Ca lådje èt long, on djåse di sès-èfants. Au premier rang brille son industrie (5) Å prumi rang on l’ mèt’ po l’ industrèye Et dans les arts on l’apprécie autant. Et d’vins lès-årts èle riglatih ot’tant. Bien que petit, notre pays surpasse Nosse tére èst p’tite, mins nos-avans l’ ritchèsse Par ses savants de plus grandes nations. Dès-omes sincieûs qu’anôblihèt leû nom. Et nous voulons des libertés en masse : Et nos-avans dès libèrtés timpèsse : Voilà pourquoi l’on est fier d’être Wallons ! Vola poqwè qu’on-z-èst fîr d’ èsse Walon !
Li Tchant dès Walons
Le Chant des Wallons

Dans les régions romanes, la latinisation de la Gaule a influencé de génération en génération, mais on peut entrevoir le gaulois, auquel il s’est substitué, ainsi que par l’empreinte germanique. Au fil des siècles, les experts linguistiques estiment que, dès 1100, le wallon est individualisé par rapport au picard et au lorrain et, un siècle plus tard, un discernement est déjà marqué entre le liégeois et le namurois. Ainsi, les parlers belgo-romans continueront à se différencier jusqu’à l’époque moderne.

Prenons l’exemple de la notion de saleté avec le mot “sale”.
En picard, comme en français, le mot reste “sale”. Dans l’ouest-wallon, il est dit “yoûrd, yôrd” (de la même racine qu’”ordure”). En namurois, on parle de “man.nèt / mannet” ; le liégeois utilise le terme “mâ-sîr, mâ-sî”. A contrario, au sud-wallon et au lorrain, ils diront “niche”.

Les parlers wallons, picards, lorrains et champenois sont des idiomes bien connus en Wallonie jusqu’à la fin du XIXe siècle. Jusqu’à cette époque relativement récente, la seule langue pratiquée est orale et wallonne. Néanmoins, le français n’est pas complètement inconnu dans nos régions.

Au Moyen Age, notamment en France mais également en Belgique, le français concurrence le latin. La Renaissance en sera le point d’orgue avec le français qui arrive à se mettre à jeu égal avec les parlers locaux. Des témoignages du XVIe siècle nous montrent que dans les milieux privilégiés, à l’instar d’une ville comme Liège, les classes aisées vont pratiquer le français sans pour autant renoncer à leur dialecte. En zone rurale ou même urbaine, cette évolution linguistique ne sera pas présente. La progression de cette langue de culture interviendra surtout à la fin du XIXe siècle.

La reddition de Vercingétorix signe la victoire de César dans la guerre des Gaules, qu’il a abondamment abordée dans ses Commentaires sur la guerre des Gaules. © Lionel Royer, Wikimedia Commons, DP

La siècle des États-nations

Au XIXe siècle, l’engouement pour le wallon reprend du poil de la bête. Dès 1822, Charles-Nicolas Simonon écrit un poème sur l’ancienne cloche de la cathédrale de Liège (Li côpareye). Nicolas Defrecheux publie en 1854 la chanson “Lèyîz-m’” (laissez-moi pleurer), complainte fleuve d’un amour perdu. Le succès sera au rendez-vous. Le même auteur embrigade toute une génération avec une chanson qui accompagne une danse populaire traditionnelle, la célèbre “cramignon” : L’avez-v’ vèyou passer ? (l’avez-vous vue passer ?, 1856).

Le théâtre n’est pas en reste pas en 1885 avec la pièce créée à Liège, véritable comédie-vaudeville : Tatî l’ Pèriquî (Gauthier le Perruquier). Le bouche à oreille est efficace et l’attachement au wallon prend tout son élan. Des troupes de théâtre vont ainsi naître un peu partout en Wallonie.

Exemple de l’auteur Henri Simon au théâtre : Coûr d’ognon (cœur d’oignon, 1888) ou Li neûre poye (la poule noire, 1893).

La Société liégeoise de littérature wallonne débute en 1856 et encourage les productions littéraires en langue wallonne. Des concours annuels y sont organisés. Œuvres lyriques, dramatiques, mais pas seulement, de nombreux travaux philologiques et dialectologiques vont se consacrés au vocabulaire technique des métiers et activités traditionnels.

Jules Feller, membre éminent, a mis au point une orthographe wallonne commune qui permet de noter fidèlement la prononciation dialectale tout en tenant compte des habitudes graphiques françaises.

Sources et références

1) Ouvrage actuellement conservé à la Bibliothèque royale de Belgique.

2) Le terme “Walha”, après l’évolution naturelle d’une langue, donnera naissance au mot “wallon” puis, par truchement, à celui de “Wallonie”.

3) Préface de Renier Chalon (1802-1889) – Les mémoires de messire Jean, seigneur de Haynin et de Louvegnies… 1465-1477…. Tome 1 – disponible sur la BNF/Gallica. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k64681012/f27.planchecontact

4) L’intégralité des informations chronologiques de la Wallonie est disponible sur le site de la Région wallonne. http://connaitrelawallonie.wallonie.be/fr/histoire

5) Dans le premier couplet, l’industrie de la Wallonie est mise en avant. Proéminente au XIXe siècle, la sidérurgie pré-industrielle au XVIe siècle était l’une des plus dynamiques en Wallonie. En 1566, on recensait deux cents “usines” en fonctionnement en territoire wallon. À titre de comparaison, la France, territoire alors autrement plus dense, n’en comptait que le double. Ainsi, et proportionnellement à sa population, elle occupe la seconde place mondiale des nations industrielles, derrière l’Angleterre, de 1810 à 1880.

Pour en savoir plus

La Langue et La Littérature Wallonnes des origines à nos jours – Martine Willems.

Un lexique des mots courants en wallon est disponible sur “Beljike”. https://www.beljike.be/mots-courants-wallon-lexique/

Histoire et symboles de la Wallonie – Connaître la Wallonie. http://connaitrelawallonie.wallonie.be/fr/histoire

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