Lire Machiavel en 2025
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En résumé :

  • Naissance et formation (1469-1498) : Né à Florence en 1469, Machiavel grandit dans une ville en plein tumulte politique. Il reçoit une éducation humaniste et s’imprègne des auteurs antiques, notamment Tite-Live.

  • Carrière politique (1498-1512) : Il devient secrétaire de la République florentine et joue un rôle clé dans la diplomatie et l’organisation militaire. Il observe de près les jeux de pouvoir des grandes figures de son temps, comme César Borgia et Louis XII.

  • Chute et exil (1512-1513) : En 1512, les Médicis reprennent le contrôle de Florence. Machiavel est arrêté, torturé, puis exilé dans sa propriété rurale. Écarté du pouvoir, il se consacre à l’écriture.

  • L’œuvre majeure : Le Prince (1513) : Dans cet ouvrage, il analyse le pouvoir de manière réaliste, affirmant qu’un dirigeant doit parfois user de ruse et de force pour se maintenir. Son pragmatisme lui vaudra une réputation sulfureuse.

  • Fin de vie (1513-1527) : Il tente de se rapprocher des Médicis mais reste en marge. Il meurt en 1527, juste après la chute des Médicis, sans avoir retrouvé un rôle politique actif. Son œuvre influencera durablement la pensée politique occidentale.

« La nature des peuples est changeante, et il est aisé de les persuader d'une chose, mais difficile de les garder en cette persuasion. Aussi faut-il y donner si bon ordre que lorsqu'ils ne croiront plus, on leur puisse faire croire par force. Moïse, Cyrus, Thésée et Romulus n'auraient pu faire si longuement observer leurs institutions, s'ils eussent été sans armes. »
Niccolo Machiavel
Le Prince, p. 59

Niccolo Machiavel n’écrit pas ces quelques mots à l’aube de sa jeunesse, et encore moins dans la plénitude de sa carrière, alors qu’il travaillait comme une fourmis ouvrière au sein de la commune de Florence. Brisé par la question, en exil, il rédige un ouvrage non pas pour la postérité mais dans une volonté presque servile de récupérer la confiance de ses anciens maîtres, les Médicis. Il n’obtiendra pas ce pour quoi il s’obstine à mettre en oeuvre.

Machiavel meurt quelques années plus tard, laissant comme héritage son “Prince” et un adjectif qui ne le quittera désormais plus : machiavélique. En est-il réellement un digne héritier ? Est-ce à ce point un brûlot si néfaste qui ira jusqu’à pousser Frédéric II de Prusse à écrire son Anti-Machiavel ? Le principal intéressé aurait bien un sourire moqueur à la commissure des lèvres. La question du jugement n’a ici aucune importance.

« Ceux qui s'acquièrent une principauté par leur virtu l'acquièrent avec peine, mais ils s'y maintiennent facilement. Les difficultés qu'ils ont à vaincre naissent en partie des nouvelles ordonnances et coutumes qu'ils sont contraints d'introduire pour bien fonder leur État et y assurer leur pouvoir. Et il faut penser qu'il n'y a chose à traiter plus pénible, à réussir plus douteuse, ni à manier plus dangereuse que de s'aventurer à introduire de nouvelles institutions ; car celui qui les introduit a pour ennemis tous ceux qui profitent de l'ordre ancien, et n'a que des défenseurs bien tièdes en ceux qui profiteraient du nouveau. Cette tièdeur vient en partie de la peur des adversaires qui ont les lois pour eux, en partie aussi de l'incrédulité des hommes qui ne croient point véritablement aux choses nouvelles s'ils n'en voient déjà réalisée une expérience sûre. D'où il suit que, chaque fois que ceux qui sont adversaires ont l'occasion d'attaquer, ils le font en ardents partisans, et les autres se défendent avec tiédeur ; en sorte que l'on périclite avec eux. »
Niccolo Machiavel
Le Prince, p. 58

Machiavel ne connait que trop bien les arrivistes, les tièdes et surtout la colère du peuple. Machiavel ne connait que trop bien les arrivistes, les tiédeur et surtout la colère du peuple. Le fils du pape Alexandre VI, César Borgia, a déchainé toutes ces passions auprès de ses contemporains. L’admiration a fait place au pragmatisme bien connu de l’auteur, se rappelant au passage la justesse de Tite-Live : « A peine le peuple eut-il cessé de le craindre qu’il commença à le regretter. » (VI, 9). Une bonne occasion de faire un saut dans le temps, à une ère que l’on répète lumineuse, la Renaissance italienne. Pour l’historien Jean Delumeau, la beauté des artistes doit être tempérée : « La Renaissance ne se présente pas comme un progrès continu. La beauté y a constamment côtoyé la cruauté, et l’ombre la lumière. »

Dans la Florence du XVIe siècle, il est peu probable qu’un notable florentin aurait pu donner – si ce n’est prédire – des leçons de notre temps, mais comme l’être humain est sujet aux passions bien humaines, les notions de foi, de trahison, d’émerveillement, de dégoût, de rationalité, d’excès et d’amour sont, quant à elles, bien intemporelles.

« A ce propos, il faut noter que la haine s'acquiert autant par les bonnes œuvres que par les mauvaises ; aussi, si le prince veut conserver ses États, il est souvent contraint de n'être pas bon ; car quand cette communauté quelle qu'elle soit, ou du peuple ou des soldats ou des grands, dont on estime avoir besoin pour se maintenir, est corrompue, il faut suivre son train et la satisfaire : alors les bonnes œuvres ne sont pas les meilleures. Alexandre, qui fut qu'on fait de lui, on dit qu'en quatorze ans qu'il a tenu l'empire, il ne fit jamais mourir personne sans bonne justice ; néanmoins, comme il avait la réputation d'être efféminé et de se laisser gouverner par sa mère, il devint un objet de mépris, l'armée conspira contre lui et le tua. »
Niccolo Machiavel
Le Prince, p.231

Machiavel se remémore l’anarchie à Florence causée par deux grandes familles de Pistoia, les Panciatichi et les Cancellieri en 1501 et 1502. La République, en laissant faire, à créer des tensions chaotiques insoutenables dans la ville.

«Il faut qu'un prince soit solidement assis : autrement il croulera. Les principaux fondements de tous les États, aussi bien les nouveaux que les anciens et les mixtes, sont les bonnes lois et les bonnes armes. Et comme on ne peut avoir de bonnes lois là il n'y a pas de bonnes armes, et comme les bonnes armes supposent les bonnes lois, je ne parlerai pas des lois et traiterai des armes. Je dis donc que les armes avec lesquelles un prince défend son pays ou sont les siennes propres où sont mercenaires, ou auxiliaires, ou mêlées des unes et des autres. Les mercenaires et auxiliaires ne valent rien et sont fort dangereuses ; et si un homme veut fonder l'assurance de son Etat sur les forces mercenaires, il ne sera jamais en sécurité et puissance, car elles sont démunies, ambitieuses, sans discipline, déloyales, braves chez les amis, lâches devant l'ennemi ; elles n'ont point de crainte de Dieu, ni de fidélité à l'égard des hommes, et tu ne diffères ta ruine qu'autant que tu diffères l'assaut ; en temps de paix, tu seras dépouillé par eux, en temps de guerre, par les ennemis. La raison est qu'ils n'ont autre amour ni autre occasion qui les retienne au camp qu'un peu de solde, ce qui n'est pas suffisant à faire qu'ils veuillent mourir pour toi. Ils veulent bien être à toi pendant que tu ne fais point la guerre, mais aussitôt que la guerre est venue, ils ne désirent que fuir ou s'en aller. »
Niccolo Machiavel
Le Prince, 84

L’Italie n’avait alors pas d’unité et certains États devaient occasionnellement faire appel à des mercenaires pour assurer leur sécurité, voire constituer une force d’assaut. Une erreur commune que même certains pays modernes continuent de commettre.

« Les princes mal résolus, pour éviter les présents dangers, suivent le plus souvent la voie de la neutralité, et le plus souvent aussi s'en trouvent ruinés. Mais quand un prince se découvre gaillardement, en faveur d'une partie, si celui qu'il favorise gagne, même s'il est puissant et que tu demeures à sa discrétion, toutefois l'obligation et l'amitié jurée est si grande et les hommes ne sont jamais si déshonnêtes qu'ils puissent donner un tel exemple d'ingratitude que d'en profiter pour t'écraser ; et puis les victoires ne jamais si franches que le vainqueur ne doive avoir égard à plusieurs choses, principalement à la justice. Mais si celui auquel tu te seras allié perd, tu trouves secours chez lui et tant qu'il le pourra il te soutiendra, en sorte que tu deviens compagnon d'une fortune qui se peut relever. Sur quoi il faut noter qu'un prince se doit bien garder de s'allier, dans la guerre, avec un plus puissant que soi, pour attaquer un autre (sinon quand la nécessité le contraint), comme nous avons dit ci-dessus ; car en gagnant tu demeures son prisonnier ; et les princes doivent se garder, pour autant qu'ils le peuvent, d'être à la discrétion d'autrui. »
Niccolo Machiavel
Le Prince, p. 130

La France, alliée de Florence, a demeuré une puissance déstabilisatrice dans les États italiens. Machiavel reprend surtout la bonne morale de Tite-Live dans ce cas-ci (XXXV, 48). Être allié d’un puissant comporte autant d’opportunités que de risques, même en 2024.

« Un prince doit montrer qu'il aime la virtu, accueillant et honorant ceux qui sont excellents en chaque art. Il doit encourager ses concitoyens à paisiblement exercer leurs métiers, tant dans le commerce qu'au labourage, et dans toute autre occupation humaine, afin que le laboureur ne laisse ses terres en friche de peur qu'on ne les lui ôte et que le marchand hésite à entreprendre de nouvelles affaires par crainte des impositions. Le prince, donc, récompensera quiconque qui enrichira sa ville ou son pays. »
Niccolo Machiavel
Le Prince, P. 131

La destruction causée par Savonarole est encore dans toutes les mémoires. Fasciné par son charisme, il l’était moins pour son idéologie mortifère. Machiavel est un Romain de l’Antiquité dans l’esprit. La cité doit prévaloir. Il cite Cicéron et Tite-Live en ce sens. Une cité, ancienne ou moderne, ne doit pas tomber sous le joug d’une communauté qui n’honore pas le bien commun et la virtu du prince.

« En outre il doit en certaines périodes de l'année ébattre et détenir son peuple en fêtes et en jeux. Et comme chaque ville est divisée en métiers ou en tribus, le prince doit faire cas de ces groupes, être quelquefois dans leurs assemblées, donner de soi exemples d'humanité et de magnificence : néanmoins qu'il ne déroge point à la majesté de son rang, c'est là un point sur lequel il ne doit jamais faillir. »
Niccolo Machiavel
Le Prince, P. 170

Période de libération, les fêtes ou les carnavals, qui permettaient pour un temps court de se libérer des contraintes sociales, sont un atout pour juguler la pression populaire, selon Machiavel. Nous ne savons pas ce qu’il aurait dit des Jeux Olympiques, ceci-dit. Peut-être aurait-il trouvé une citation d’Aristote pour l’acquiescer.

« Combien il est utile, voire important, dans une république, d'avoir des institutions qui fournissent à la masse des citoyens des moyens d'exhaler leur aversion contre un autre citoyen. A défaut de ces moyens autorisés par la loi, on en emploie d'illégaux, qui, sans contredit, produisent des effets bien plus funestes. Que dans ces occasions un individu soit lésé, qu'on commette même à son égard une injustice, l’État n'éprouve que peu ou point de désordre. En effet, cette injustice n'est le fait ni d'une violence privée, ni d'une intervention étrangère, deux causes puissantes de la ruine de la liberté, mais uniquement de la force publique et des lois, contenues dans des bornes qu'elles ne dépassent pas au point de renverser la république.»
Niccolo Machiavel
Le Prince, P. 171

Machiavel fait référence à Coriolan, rapportée par Tite-Live. Figure patricienne de la République romaine, il fut exilé à la suite d’une disette. Sauvé par les tribuns et la loi de Rome, il nous rappelle, encore aujourd’hui, combien des institutions solides doivent prémunir de laisser au citoyen le droit de se faire justice lui-même. Et de se rappeler combien il est important pour un cité de se faire respecter et d’appliquer les lois partout sur son territoire.

« La passion des peuples pour la liberté. La lecture de l'histoire nous fait connaître les dommages et les préjudices que subit une ville ou un peuple de la perte d'un bien aussi précieux [...] On découvre aisément d'où naît cette passion d'un peuple pour la liberté. L'expérience prouve que jamais les peuples n'ont accru et leur richesse et leur puissance sauf sous un gouvernement libre. Et vraiment on ne peut voir sans admiration Athènes, délivrée de la tyrannie des Pisistratides, s'élever en moins de cent ans à une telle grandeur. »
Niccolo Machiavel
Le Prince, P. 216

La passion des peuples défait des hommes, mais parfois les rappelle au pouvoir, en témoigne Cosme de Médicis. L’expression de la liberté, juste ou injuste à un instant T, est le droit du peuple bafoué. Pour résumer en une phrase, Machiavel cite Tite-Live qui fait référence à Hiéronyme de Syracuse au 3e siècle avant J.-C. : « Tel est le caractère de la multitude : ou bien, elle sert bassement, ou bien elle domine avec superbe » (XXIV, 25). Citation toujours valable.

« C'est une règle d'or que celle de Tacite qui dit que les hommes doivent révérer le passé et se soumettre au présent ; désirer les bons princes, et supporter les autres quels qu'ils soient. Se conduire autrement, c'est souvent se perdre soi-même et perdre également son pays. Le prince qui s'est attiré une telle impopularité a forcément à craindre les haines particulières de ceux qu'il a offensés : ces haines se trouvent multipliées par l'aversion générale. Un prince doit donc éviter d'exciter cette haine universelle. »
Niccolo Machiavel
Le Prince, P. 240

Photographies 

Wikipédia CC 3.0 et créations originales H&O

Pour en savoir plus

Il Principe dit Le Prince, Machiavel.

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