En résumé :
Origines : Stonehenge, situé sur la plaine de Salisbury, est un monument mégalithique construit en plusieurs phases, vers 2950 av. J.-C., et aligné sur le lever du soleil du solstice d’été. Ses origines et fonctions restent incertaines, mêlant hypothèses rituelles et mythologiques.
Propriété privée et vente : Jusqu’au début du XXe siècle, le site appartenait à des familles aristocratiques, notamment la famille Antrobus. En 1915, il fut vendu aux enchères et acquis par l’avocat Cecil Chubb pour 6600 livres sterling.
Dégradations et restaurations : À la fin du XIXe siècle, Stonehenge souffrait de dégradations causées par les visiteurs et les intempéries. Des mesures de préservation, comme l’érection de clôtures et la réparation des pierres tombées, ont débuté dès 1901.
Don à la nation : En 1918, Cecil Chubb fit don de Stonehenge au gouvernement britannique, marquant un tournant dans sa conservation et son entretien par l’État, aujourd’hui géré par l’English Heritage.
Interventions archéologiques : Des archéologues, tels que William Hawley, ont entrepris des fouilles et des restaurations majeures entre 1920 et 1927, redressant des pierres et supprimant les soutiens en bois.
Héritage et questionnements : Stonehenge est devenu un symbole national et mondial, suscitant des réflexions sur la notion de patrimoine. Ses multiples significations pour différentes époques témoignent de son importance culturelle et historique, toujours en évolution.
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Faites vos jeux
Stonehenge est un monument qui continue de nous poser plus de questions qu’il ne nous donne de réponses, voilà en substance ce que nous disait l’archéologue Jacquetta Hawkes dans son livre “A Land“, publié en 1951. Si chaque époque d’un territoire donné est façonnée par nos propres valeurs et préoccupations, ce lieu mythique du paysage britannique nous raconte aussi une histoire : celle d’un peuple oublié qui a construit un monument pour une raison oubliée.
Oh ! chaque année, une nouvelle théorie fendra les journaux pour déclarer haut et fort que l’on vient enfin de percer le mystère de Stonehenge. Célébration du solstice d’été, perpétuation de la mémoire des ancêtres ou encore amalgame de rituelles de toutes sortes. En soi, rien de nouveau, malgré les régulières péripéties archéologiques autour du site. Si ces raisons peuvent être valables, elles n’en demeurent pas moins des conjectures qui s’effilocheront d’incessantes ramifications au cours des siècles à venir.
A l’heure de cette modernité, en ce tout début de XXe siècle, une étonnante affaire va secouer l’île de Shakespeare : Stonehenge sera à vendre ! La conclusion d’un projet à multiples rebondissements aura lieu le 21 septembre 1915, lorsque l’acte d’achat sera notifié au profit de l’avocat Cecil Chubb (1876-1934). En un petit coup de gavel du commissaire priseur, presque 5 000 ans d’histoire se sont échangés à l’Hôtel des ventes de Salisbury, à environ 13 km du site. By Jove ! Comment en est-on arrivé là ?
D’emblée une autre question peut interloquer le lecteur : vendre l’emblématique Stonehenge, mais n’appartenait-il pas à l’État comme patrimoine mondial ? Recontextualisons. La notion de propriété publique pour la conservation patrimoniale n’était pas aussi développée qu’aujourd’hui. Au XIXe siècle, les États n’étaient pas aussi interventionnistes que de nos jours en ce domaine et il n’y avait pas la même conception de la propriété publique. Par ailleurs la plupart des monuments et des sites historiques appartenaient à des particuliers ou à des institutions religieuses.
Pendant des siècles, la propriété foncière en Angleterre était largement détenue par la noblesse et les seigneurs féodaux. Les terres, y compris des sites archéologiques tels que Stonehenge, étaient transmises de génération en génération au sein de familles aristocratiques, et ces propriétaires privés avaient le droit d’utiliser et de disposer de leurs terres comme bon leur semblait. En outre, située dans une zone rurale isolée, Stonehenge n’était alors pas encore considéré comme un site archéologique capital. Les archéologues ne commençaient que juste à étudier le site et ils n’avaient pas encore compris son importance historique.
Mais de quoi parlons-nous exactement ?
Il s’agit d’un monument mégalithique situé dans la plaine de Salisbury, dans le Wiltshire, en Angleterre. Achevé en plusieurs phases de construction vers 2950 av. J.-C., il se compose d’un cercle de pierres de sarsen entouré d’un talus et d’un fossé et renfermant un cercle de pierres bleues plus petites. À l’intérieur de ce cercle se trouve une disposition en fer à cheval de cinq trilithes dont l’axe est aligné sur le lever du soleil de la mi-été, une orientation qui était probablement destinée à des fins rituelles.
Stonehenge est généralement associé aux druides, bien que ce lien soit aujourd’hui généralement rejeté par les spécialistes. Le monument a également été attribué aux Phéniciens, aux Romains, aux Scandinaves et à bien d’autres peuplades. Plus folklorique, l’évêque et chroniqueur Geoffrey de Monmouth (1095 – 1155) a affirmé que les pierres principales ont été apportées d’Irlande par la magie de Merlin.
Le deuxième élément du nom peut avoir signifié quelque chose de “suspendu ou soutenu dans les airs”. On trouve une forme fallacieuse de “Stanhengest” dans certaines chroniques latines (vers 1500), avec une histoire associant Stonehenge à un massacre de nobles britanniques par le chef saxon Hengist. Cette affirmation est hautement hypothétique. Les véritables intentions nous échapperont peut-être toujours, mais la manière dont les Anglais vont s’approprier – ou non – le terrain sacré en dit long sur leurs intentions du moment.
Pompéi ne tombe en ruines que maintenant, depuis qu’elle est exhumée, disait Freud, dans son livre « L’homme aux rats », publié en 1909, peu avant la vente de Stonehenge. Cette idée que l’oubli – loin d’être seulement involontaire – est un mécanisme de défense pour tout un chacun, s’applique peut-être aussi aux monuments des hommes. Redécouvrir un édifice de cet acabit est également un formidable outil pour épauler la mémoire collective, nous aidant ainsi à comprendre notre passé qui, par définition, nous échappe peu à peu.
Et tout commença avec le tonnerre
Nous l’avons vu, la notion de propriété de Stonehenge est complexe. Au XVIe siècle, le roi Henry VIII entreprit la dissolution des monastères, ce qui entraîna la confiscation de nombreuses terres et propriétés religieuses. Stonehenge, qui aurait pu être sous la juridiction d’une abbaye ou d’un monastère, a peut-être changé de mains et est devenu la propriété de propriétaires laïcs à cette époque. S’ensuivent quelques turpitudes et, dans les grandes lignes, son acquisition à la fin du XVe siècle par la famille Antrobus.
Il serait avant tout judicieux de présenter succinctement quelques protagonistes de notre histoire : un archéologue et officier de l’armée britannique, William Hawley (1860-1940), fervent défenseur passionné de la préservation de Stonehenge ; Sir Edmund Antrobus (1839-1921), un homme d’affaire, propriétaire du site avant la vente ou encore l’avocat Cecil Chubb (1876-1934), le futur acquéreur de Stonehenge, avant de passer dans l’escarcelle du gouvernement britannique. Mais nous y sommes pas encore.
Les événements se précipitent en 1880 avec un autre archéologue, William Flinders-Petrie (1853-1942) qui a établi le système de numérotation des pierres encore en usage à ce jour. La première intervention documentée pour empêcher l’effondrement d’une pierre à Stonehenge a eu lieu l’année suivante, en 1881. En 1893, l’inspecteur des monuments anciens a déterminé que plusieurs pierres étaient en danger de s’effondrer. Il a été confirmé par la suite, lorsqu’une pierre 22 s’est effondrée lors d’une tempête du Nouvel An, le 31 décembre 1900. La pierre est restée intacte, mais la lintel-122 s’est brisée en deux morceaux avec une telle force qu’un fragment a été retrouvé à 81 pieds de distance.
Ce sont les premières pierres à tomber depuis 1797 – après un dégel rapide qui avait suivi une forte gelée. Cet effondrement (ainsi que le tollé qu’il a suscité) a marqué un changement d’attitude à l’égard de Stonehenge. Une clôture a été érigée autour des pierres, un droit d’entrée a été instauré avec, en plus, un agent de police pour surveiller les visiteurs du site. Pour bien comprendre l’ampleur de l’événement, un certain nombre de lettres ont été écrites au journal The Times à la suite de la chute des pierres, ce soir fatidique de la fin du XIXe siècle.
Appropriation et sauvegarde
Restaurer un monument, c’est décider quel état on va le rendre visible. En mars 1901, une réunion se tint à Stonehenge en présence de l’ayant droit Sir Edmund Antrobus (comme rapporté dans le journal Times du 13 avril 1901). L’objet de cette rencontre était de discuter des mesures les plus judicieuses à prendre pour assurer la préservation et la sauvegarde du monument. Les représentants de la Society of Antiquaries, de la Society for the Protection of Ancient Monuments et de la Wiltshire Archaeological Society donnèrent les recommandations suivantes : clôturer le cercle en englobant une vaste surface, sans perturber la vue générale de Stonehenge. Sécuriser spécifiquement certaines pierres (de l’extérieur du cercle, etc.) menaçant de tomber lors de conditions particulières telles que le gel ou les tempêtes. Replacer, à leurs emplacements d’origine précisément connus, les deux pierres qui s’étaient effondrées le 31 décembre, dernier jour du siècle précédent, lors de la terrible tempête marquant l’arrivée du nouveau siècle.
Toutes ces mesures de sécurité nous interrogent sur notre capacité à sauver, mais aussi comprendre le patrimoine, de grosses pierres dans ce cas-ci. Pouvons-nous ‘arranger’ un site à notre convenance, quelles que soient les modifications effectuées, dans le but de le sauver des affres du temps ? La pérennité d’un site est-elle similaire à une œuvre d’art, comme le serait un tableau de Léonard de Vinci où il faudrait effectuer à un éclaircissement des teintes pour en restituer la toile dans un sens proche produit par l’artiste ? Ces interrogations ne sont pas aussi simples qu’elles ont l’air de prime abord. Un site archéologique, après des milliers d’années, ne peut prétendre à être similaire à ce qu’il a été à l’origine, et encore moins à rester un site de rites à effectuer, quand bien même nous en ignorons les tenants et aboutissements. Site ou vestige ? Son attention est probablement ce que nous voulons qu’il soit. Stonehenge, oublié pendant des siècles, est désormais la fierté du peuple britannique. Le laisser agonir semblerait inexcusable. Une bonne occasion alors pour s’interroger sur ce que nous voulons comme patrimoine et ce qu’il représente pour nous.
Loin de ces considérations, le 25 juin 1901, des observations du lever du soleil furent effectuées à l’aide d’un théodolite par M. Howard Payn du Solar Physics Laboratory à S. Kensington. En septembre de la même année, Lady Antrobus fut témoin des restaurations entreprises à Stonehenge. Elle rédigea un article publié dans l’édition du samedi 19 octobre 1901 de Country Life, où elle observait :
« Le travail le plus dangereux et délicat entrepris était le redressement du grand monolithe appelé la Pierre Inclinée, roi du cercle mystique et le plus grand d’Angleterre après l’aiguille de Cléopâtre. Cette pierre faisait partie des piliers du grand trilithe qui se dressait derrière la Pierre de l’Autel, et on dit que le duc de Buckingham en aurait provoqué la chute lors de ses fouilles en 1620. Le pilier tombé est brisé en deux morceaux, et son linteau gît, tel qu’il est tombé, sur la Pierre de l’Autel. »
Les hommes et des pierres
Le 26 octobre 1918, Cecil Chubb écrivit à Sir Alfred Mond, le premier commissaire aux travaux, pour lui offrir cette possession unique comme un cadeau à conserver pour la nation. Un présent difficile à entretenir, d’autant plus que l’avocat avait benoitement acheté Stonehenge pour 6600 livres sterling lors d’une vente aux enchères locale trois ans auparavant.
Avant 1918, le monument était soutenu par des poteaux en bois et certaines pierres menaçaient de s’effondrer. L’augmentation du nombre de visiteurs à la fin du XIXe siècle avait entraîné des dommages, les gens écaillant régulièrement les pierres pour en faire des souvenirs et griffant leur nom sur le monument. Bien que l’introduction d’un droit d’entrée et d’un policier à partir de 1901 ont permis d’enrayer en grande partie ce phénomène, le monument lui-même était toujours dans un état périlleux.
Grâce à la générosité des Chubbs, Stonehenge a été sauvé. Désormais propriété du gouvernement britannique, The Office of Works, le département gouvernemental britannique chargé de l’architecture et de la construction, a commencé à s’occuper du monument, en restaurant de nombreuses pierres tombées et en entreprenant une étude et un programme de fouilles de grande envergure. Aujourd’hui, le monument ancien est entretenu par English Heritage au nom de la nation. Il est bon de rappeler qu’n Angleterre, la préservation de ces lieux importants était, bien sûr, l’objectif premier, mais il était presque aussi important de raconter leur histoire.
Entre temps, le lieutenant-colonel William Hawley a fouillé à Stonehenge entre 1920 et 1927. Il a redressé six pierres, ce qui a permis d’enlever les poteaux de mélèze disgracieux qui les soutenaient auparavant. Au fil du temps, d’autres archéologues ont travaillé avec l’Office pour sa sauvegarde. Quant à sa pérennité pour les prochains millénaires, ce sera pour une autre histoire. Si les informations de l’English Heritage dressent un constat sobre des multiples passations en l’espace de quelques décennies seulement, elles nous interrogent également sur la notion de patrimoine à l’échelle d’une nation.
Le concept même d’État-nation étant fluctuent à travers les recoupements géographiques d’un pays, comment peut-on définir le patrimoine ? Pour un peuple qui a persisté sur un même territoire donné, le mérite des prédécesseurs est probablement proportionnel au désir de ses successeurs de s’en approprier. Si la politique à un instant T peut l’étudier, l’utiliser ou, pire, l’instrumentaliser, ce patrimoine n’en reste pas moins essentiel pour le peuple qui leur a été laissé en héritage. Dans le cas de Stonehenge, son importance archéologique est, chronologiquement parlant, très récente.
Si un patrimoine ne devrait pas être l’otage de l’histoire et de ses péripéties, d’un groupe, d’une institution ou accaparés par des valeurs contemporaines. Tout est une question de dosage, comme bien souvent. “Stonehenge est un monument qui a été construit et reconstruit au fil des siècles, et il a eu de nombreuses significations différentes pour les gens qui l’ont construit et visité. C’est un lieu de pouvoir et de mystère, et il continue d’inspirer et d’intriguer les gens aujourd’hui.” Rangeons-nous au pragmatisme de Jacquetta Hawkes , à défaut d’en avoir une chose plus savante à prononcer.
Photographies
Archives English Heritage
Pour en savoir plus
Connaissance des arts : l’origine des pierres de Stonehenge
From restoration to conservation, English Heritage
Universalis
UNESCO