Qui peut revendiquer Charlemagne ?
Qui peut revendiquer Charlemagne ?

Qui peut revendiquer Charlemagne ?

Qui peut revendiquer Charlemagne ?

Le 4 décembre 771, Charlemagne devient seul maître de l’Europe occidentale après la mort de son frère Carloman. Pendant quarante-cinq ans, il règne en géant de l’Histoire, consolidant l’Occident chrétien par ses conquêtes militaires, sa réforme politique et son mécénat culturel. Guerrier redoutable et visionnaire, il pose les bases d’un empire qui marque durablement le destin de l’Europe. Mais aujourd’hui, une question demeure : à qui appartient l’héritage de Charlemagne ?

Français, Allemands ou Européens, chacun revendique cet empereur emblématique comme un pilier de son identité.

Portrait imaginaire de Charlemagne, par Albrecht Dürer. Le manteau et les blasons au-dessus de sa tête montrent l'aigle allemand et le lys français.

Charlemagne, figure centrale de l’histoire médiévale, continue de susciter débats et appropriations nationales. Français pour certains, allemand pour d’autres, il est aussi considéré comme un précurseur de l’unité européenne. Mais ces visions, souvent influencées par les enjeux politiques et culturels postérieurs, reflètent-elles la réalité historique ?

Une vision française : Charlemagne, père de la nation ?

Selon le professeur honoraire Jean Verdon, la France revendique Charlemagne comme l’un des siens, notamment en tant qu’héritier de Clovis, roi des Francs baptisé à Reims en 498. Cette continuité dynastique a permis de rattacher Charlemagne à la fondation de la monarchie française. En 800, lorsqu’il est couronné empereur à Rome, l’histoire française voit en lui l’incarnation d’un pouvoir sacré et civilisateur, une figure fondatrice de la nation.

Cependant, Verdon souligne que cette lecture repose sur des anachronismes. En 800, le concept de « nation » n’existait pas. Charlemagne dirigeait un empire composite, incluant la France actuelle, mais aussi une grande partie de l’Allemagne, de l’Italie et d’autres régions européennes. Il n’était pas « roi de France », mais empereur des Francs, un titre enraciné dans une identité large, au-delà des frontières modernes.

La récupération romantique de Charlemagne au XIXe siècle, notamment par Victor Hugo, a contribué à en faire un héros national français. Cette image, nourrie par des œuvres comme La Légende des Siècles, le présente comme un souverain éclairé et conquérant, légitimant la continuité de la monarchie française et son prestige. Pourtant, cette appropriation ne tient pas compte des réalités historiques : Charlemagne était avant tout un empereur chrétien dont l’objectif était d’unifier l’Occident sous l’égide de l’Église, non de construire un État national.

Charlemagne visite une école. Illustration d'Histoire de France (Theodore Lefevre et Cie, Paris, c1902). Illustrations de « H Grobet »

Une perspective allemande : Karl, l’empereur germain

Pour Menno Aden, professeur de droit des affaires et de Droit international, Charlemagne est avant tout Karl der Große, un souverain profondément enraciné dans la culture germanique. Né à Aix-la-Chapelle, au cœur de l’actuelle Allemagne, il grandit en parlant une langue germanique et fut éduqué selon les traditions franques. Éginhard, son biographe, le décrit comme un homme attaché aux coutumes de son peuple, conscient de ses origines germaniques et soucieux de préserver cet héritage.

L’Empire qu’il bâtit, bien qu’inspiré par l’héritage romain, reflète une forte influence germanique. Aden rappelle que Karl était un leader qui parlait autant la langue de son peuple que le latin, et qui composait même des chansons en langue germanique. L’Allemagne, bien avant la France, a célébré Karl comme une figure nationale. Dès le Moyen Âge, il était déjà reconnu comme un héros des terres germaniques, en particulier à Aix-la-Chapelle, où il fut enterré et où sa mémoire reste vivante.

Ce sont les Allemands qui, les premiers, ont revendiqué Charlemagne comme une figure fondatrice. Lorsqu’en 1806 Napoléon met fin au Saint-Empire romain germanique, il met un terme à une institution politique directement héritée de Karl. Selon Aden, cet acte de rupture a poussé les Français à s’approprier Charlemagne pour en faire un héros national. Pourtant, pour l’Allemagne, son identité reste profondément liée à ses racines germaniques, comme le rappelle l’insistance sur son rôle dans la formation d’un empire germanique chrétien.

Charlemagne accueille le moine Alcuin en 781. Détail du tableau peint par Jules Laure (1806-1861),1837. Château de Versailles, France.

Un héritage européen complexe

Au-delà de ces rivalités nationales, Charlemagne est avant tout une figure européenne. Son empire englobait des territoires aujourd’hui répartis entre la France, l’Allemagne, la Belgique, l’Italie et le Luxembourg. Il symbolise une Europe médiévale unifiée sous la bannière chrétienne, bien avant l’émergence des identités nationales modernes.

La complexité de son héritage reflète cette pluralité. Pour les Français, il est un roi franc et le « père » de leur monarchie. Pour les Allemands, il est un empereur germanique qui a étendu l’influence de son peuple. Mais il est aussi une figure impériale dont le modèle a inspiré des siècles de pouvoir en Europe. Napoléon, par exemple, s’est servi de Charlemagne pour légitimer son propre empire, tandis que l’Union européenne voit en lui un précurseur de l’unité continentale.

Si les Français et les Allemands se disputent son héritage, c’est en partie parce que Charlemagne représente une figure universelle, transcendant les frontières modernes. Plus qu’un roi ou un empereur national, il est l’incarnation d’une Europe médiévale où les identités étaient multiples et où la religion jouait un rôle central dans la légitimité du pouvoir.

En conclusion, Charlemagne n’appartient ni exclusivement à la France, ni uniquement à l’Allemagne. Son héritage est celui d’un empire et d’une époque où les identités nationales n’existaient pas encore. Karl ou Charlemagne, il reste une figure centrale de l’histoire européenne, célébrée pour sa capacité à unifier des peuples et des territoires dans une vision commune de l’Occident chrétien.

 

Pour en savoir plus

Charlemagne, de Georges Minois

Charlemagne : Empereur et mythe d’Occident, d’Isabelle Durand-Le Guern et Bernard Ribémont

Charlemagne, empereur et roi, de Georges Bordonove

Charlemagne, de Jean Gall

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