Au cours de la première semaine de septembre 1869, le secrétaire au Trésor de Grant, George S. Boutwell a reçu une lettre de Grant. Il lui a dit que les ventes d’or seraient nocives pour les agriculteurs occidentaux, une notion plantée par Gould et Fisk. Cette lettre est à l’origine du célèbre Black Friday.
Mettons d’emblée un repère chronologique : le terme moderne de « Black Friday » provient de Philadelphie dans les années 1950, où il désignait le chaos autour d’un match de football. Ce n’est qu’après les années 1970 qu’il devient synonyme de soldes massives après Thanksgiving.
En résumé :
- Le 24 septembre 1869, l’or chute de 20 % en une journée, un événement surnommé le « Black Friday ».
- Jay Gould et James Fisk manipulent le marché de l’or, aidés par Abel Corbin, beau-frère du président Grant.
- Ils créent une demande artificielle, faisant monter le prix de l’or, avant qu’une vente du Trésor ne provoque un effondrement des prix.
- La panique à Wall Street entraîne faillites et émeutes, marquant l’histoire financière et popularisant le terme « Black Friday ».
Le Black Friday de 1869 : Manipulation financière, panique et crise
Le 24 septembre 1869 est une date qui restera gravée dans l’histoire économique des États-Unis. Ce jour-là, un événement majeur secoue les marchés financiers et laisse une trace indélébile sur le monde de la spéculation : le Black Friday, qui vit l’effondrement brutal du marché de l’or. En quelques heures, le prix de l’once d’or chute de près de 20 %, passant de 162 $ à un peu plus de 130 $. Cet événement dramatique, souvent décrit comme l’une des plus grandes escroqueries du XIXe siècle, marque le point culminant de la manipulation d’un marché devenu de plus en plus vulnérable aux manœuvres des financiers sans scrupules.
Une manipulation orchestrée par Jay Gould et James Fisk
À l’origine de ce cataclysme financier se trouvent deux spéculateurs notoires : Jay Gould et James Fisk. Ces deux financiers, déjà connus pour leurs pratiques douteuses, parviennent à exploiter une faille dans le système financier de l’époque. Leur objectif ? Manipuler le marché de l’or pour réaliser d’énormes profits. Pour ce faire, ils s’associent à Abel Corbin, le beau-frère du président Ulysses S. Grant, créant ainsi une liaison directe avec les cercles du pouvoir. Grâce à cette proximité, ils parviennent à accéder à des informations privilégiées et à influencer la politique monétaire du gouvernement.
En cette période de forte instabilité économique, le gouvernement américain, cherchant à réduire la dette publique, adopte une politique de vente d’or contre des bons du Trésor. Cette politique a pour effet de diminuer progressivement la dette nationale de 50 millions de dollars avant la crise de 1869. Toutefois, cette manœuvre ouvre également la porte à la spéculation sur l’or, et Gould et Fisk, avec l’aide de Corbin, voient une opportunité pour manipuler le marché à leur avantage.
La spéculation et l’envolée des prix
Le 1er septembre 1869, Gould et Fisk commencent à acheter de l’or en grande quantité, pour un montant équivalent à 1,5 million de dollars, en utilisant des prête-noms tels que Butterfield et Corbin. Le marché ne soupçonne rien et, peu à peu, le prix de l’once grimpe. Le 6 septembre, le prix atteint 137 $, marquant un bond significatif. Cependant, les spéculateurs rencontrent une résistance le 7 et le 8 septembre, lorsqu’une vague d’offre sur le marché fait chuter les prix. Malgré cette pression, Gould et Fisk ne cèdent pas et poursuivent leur accumulation d’or. Leurs efforts finissent par porter leurs fruits, car le 22 septembre, le prix de l’once atteint 141 $.
La réaction du gouvernement et la chute du marché
Le 23 septembre, Jay Gould apprend que le président Ulysses S. Grant a pris conscience de la manipulation et a décidé d’agir. Le gouvernement ordonne la vente d’or le lendemain, le 24 septembre. Cette décision marque le début de la fin pour la spéculation de Gould et Fisk. Le Trésor met sur le marché 4 millions de dollars en or, et immédiatement, le marché s’effondre. Le prix de l’once d’or chute de 162 $ à 133 $ en l’espace de quelques heures. Gould, anticipant cette réaction, parvient à vendre son or à temps, empochant un bénéfice de 12 millions de dollars, une somme colossale qui représente 20 000 à 25 000 fois le salaire annuel moyen d’un travailleur de l’époque.
La panique à Wall Street et ses conséquences
L’effondrement du marché de l’or ne se limite pas à un simple revers financier pour les spéculateurs. Il déclenche une véritable crise de panique à Wall Street. En quelques heures, les investisseurs, pris de terreur, se ruent pour vendre leurs actions, provoquant une chute des prix sur les marchés boursiers. La crise s’étend rapidement à d’autres secteurs de l’économie, notamment l’agriculture. Le prix du blé chute de plus de 30 %, et de nombreux fermiers, incapables de faire face à ces pertes, se retrouvent ruinés. La panique est telle que le gouvernement se voit contraint de déployer des milices pour rétablir l’ordre à Wall Street, où des émeutes éclatent, visant les banques et les maisons de courtage en faillite.
Un contexte économique troublé
Pour mieux comprendre l’ampleur de cette crise, il convient de replacer l’événement dans son contexte historique. En 1869, les États-Unis connaissent un taux de croissance démographique exceptionnel, atteignant 38 millions d’habitants. Cependant, le pays est encore marqué par les séquelles de la Guerre de Sécession (1861-1865), qui a laissé le gouvernement américain lourdement endetté. La dette publique, qui était presque inexistante avant le conflit, passe de 65 millions de dollars en 1860 à 2,8 milliards de dollars en 1866. Pour faire face à cette situation, le gouvernement a dû adopter des mesures drastiques, comme l’introduction du premier impôt sur le revenu en 1862 et l’émission de la monnaie fiduciaire, les « greenbacks », pour financer ses dépenses. Cette politique de financement a entraîné une dévaluation rapide du dollar, alimentant l’inflation et la volatilité des marchés financiers.
Dans ce climat d’instabilité, la spéculation sur l’or devient une activité lucrative. Avant la guerre, l’or et l’argent étaient les seules monnaies utilisées par le gouvernement américain. Mais pour financer l’effort de guerre, le gouvernement a été contraint d’émettre des billets de banque, les « greenbacks », qui n’étaient plus remboursables en or. Ce changement modifie profondément la perception de la valeur de l’or, et les spéculateurs commencent à manipuler les prix de l’or en profitant de la dévaluation du dollar et de l’instabilité du système monétaire. Le prix de l’once d’or, qui était de 35 $ en 1861, atteint des sommets de 162 $ en 1869, alimentant encore davantage la spéculation.
Conclusion
Le Black Friday de 1869 est un tournant majeur dans l’histoire des marchés financiers. Il met en lumière les dangers de la spéculation, de l’absence de régulation et de la manipulation des marchés par des acteurs puissants. Les événements de ce jour-là ont non seulement révélé les failles du système financier de l’époque, mais ont également jeté les bases de futures crises économiques, comme le Krach de 1929. L’impact de cet événement, à la fois économique et social, a perduré bien au-delà de 1869, servant de leçon pour les générations futures sur les dangers de l’inflation, de la spéculation incontrôlée et de la manipulation des marchés.