À quoi pouvait ressembler la polychromie de l’Antiquité ?
Sculptures, statues, reliefs ; les éléments architecturaux de la cité étaient peints de vives couleurs. Si la délicate question d’une reconstitution fait toujours débat, son utilité est pourtant essentielle.
Ce relief funéraire romain du milieu du Ier siècle de notre ère montre un magasin de tissus et de coussins destiné au défunt.
Les vendeuses, observées par une surveillante, sortent d’un récipient un tissu fin, semblable à celui des coussins exposés, et le présentent à un couple.
Le statut des acheteurs est défini par la présence des serviteurs derrière eux, par leurs vêtements, mais surtout par la coiffure de la femme, qui fait écho à celle de l’impératrice de l’époque, Agrippine la Jeune, épouse de Claude et mère de Néron.
Vie de patricien
La capitale de l’empire, à l’instar des communes les plus illustres, regorgeait également de boutiques luxueuses, qui animaient les lieux de rencontre et de promenade des riches romains. Autrefois en couleur, ces reliefs nous donnent ainsi de précieuses indications.
Grâce à leurs grandes qualités, les deux œuvres représentent de manière vivante l’activité d’un magasin de tissus et de coussins, avec lequel le défunt a voulu décorer sa tombe comme un rappel perpétuel des succès professionnels et personnels obtenus dans sa vie.
Acculturation
Rome avait emboîté le pas à la Grèce. Loin d’être un simple élément de décoration, ces statues et reliefs polychromes endossaient une signification. Pour les Grecs anciens et leur société, les couleurs étaient un moyen de caractérisation.
Notons également que les couleurs que nous voyons aujourd’hui ne sont pas les teintes originales. Le bleu, notamment sur la koré (κόρη) aux yeux en amande, prévu pour la partie supérieure du chiton s’est oxydé avec le temps et apparaît maintenant en vert.
La korè (κόρη) est une statue de marbre représentant une jeune fille aux vêtements somptueux, une création distinctive de la sculpture archaïque. Elles étaient représentées avec une peau blanche qui proclamait la grâce et l’éclat de la jeunesse.
Les dieux avaient des cheveux blonds qui témoignaient de leur puissance. Les archéologues ont d’ailleurs retrouvé une statue chryséléphantine, exemple rare d’une technique sculpturale qui associait l’ivoire sculpté et l’or martelé, fixée sur un noyau de bois. VIe s. av. J.-C.
Les guerriers et les athlètes se distinguaient avec une peau grise indiquant la vertu et la bravoure, à l’instar du “Kroisos Kouros” (530 av. J.-C.) accompagné d’une pierre tombale et d’une épigramme (qui devait être lue à haute voix) gravée à sa base .
Lancé en 2012 au musée de l’Acropole d’Athènes, le programme d’exposition “Dieux en couleur” a néanmoins suscité beaucoup de controverses. Les pigments utilisés ou encore les couleurs criardes choisies ont laissé sceptiques certains spécialistes .
Cette exposition était l’œuvre des Brinkmann. Ils ont mené des recherches scientifiques poussées pour créer des pigments authentiques à partir de zéro. L’un des principaux arguments avancés par certains historiens de l’art et archéologues à l’encontre du travail des Brinkmann est l’absence de reflets et d’ombres sur les pièces archaïques. Mais c’est compréhensible, car nous savons que les œuvres peintes de cette période n’utilisaient pas beaucoup, voire pas du tout, ces techniques avancées.
Néanmoins des spécialistes ont cherché à tempérer ses conclusions, notamment sur le fait que les sculpteurs avaient l’habitude de colorer les chairs des statues et des reliefs.
Selon Bernhard Schmaltz et Clarissa Blume, les cas sont rares et il n’existe pas de règle générale en la matière. Il existe également certaines divergences concernant la technique dite de la ganôsis (“faire briller, polir”).
Les dernières données collationnées sur place indiquent que de nombreuses sculptures révèlent des traces de pigments sur les zones de la peau. Il semble qu’il y ait eu de nombreux styles de peinture différents, en fonction du lieu, de la culture, de l’époque, des dépenses, du type de sculpture, etc.
Bien évidemment toutes les statues et pans de mur n’étaient pas forcément peints de couleur. De nombreuses pièces d’architectures et d’œuvres en sont exemptés. Comme nous l’avons vu, une signification s’y cache et leur absence en est une autre. Les études à ce sujet sont en constante évolution.
A l’instar des cathédrales gothiques du Moyen Age, la reconstitution est une affaire compliquée.
« On a préféré rester en deçà du résultat qu’on pouvait obtenir, en se disant : on révèle la polychromie, mais au moins on préserve de la matière historique. Peut-être que dans 50 ans ou cent ans, d’autres technologies permettront d’aller beaucoup plus loin. », nous dit sagement Jean-Sylvain Fourquet dirige l’atelier Arcoa, spécialisé dans les peintures murales anciennes.
Je tiens à remercier Stephen Chappell, artiste numérique américain, spécialisé dans la reconstitution de sculptures antiques par le biais de la peinture. Il m’a donné l’autorisation d’utiliser ces images colorisées (en tête d’article et ci-dessus). Vous pouvez retrouver d’autres illustrations de son travail sur sa page Flickr.
Toutes les informations de ce fil proviennent du musée de l’Acropole d’Athènes, du musée des Offices de Florence et de l’article de Philippe Jockey “Couverture fascicule Les couleurs et les ors retrouvés de la sculpture antique”.
En savoir plus :
– Couverture fascicule Les couleurs et les ors retrouvés de la sculpture antique https://www.persee.fr/doc/crai_0065-0536_2014_num_158_1_95071
– Couleurs et polychromie dans l’Antiquité, Adeline Grand-Clément https://univ-tlse2.hal.science/hal-01886803/document
– Couleurs et polychromie dans l’Antiquité https://journals.openedition.org/perspective/9377?lang=es