Les insultes dans la Rome antique. Le célèbre orateur Cicéron ne se privait pas d’injurier ses adversaires politiques au Sénat. « Tu n’es qu’une banale putain », disait-il à Marc-Antoine. Mais l’invective devait être mesurée. De la rue au Sénat, fil sur les injures.
Dans la belle langue d’Auguste, les Romains s’en donnaient à cœur joie, toujours prêts à en découdre : Canis (chien) ; Scelestus (bandit) ; Abi pedicatum (va te faire foutre) ; Stultus es (tu es idiot). Ces insultes étaient usuelles à Rome.
Ce langage rugueux et familier est même gravé, comme des tags modernes, à Pompéi : Fur (voleur) ; Tu mortus es (tu n’es qu’une charogne) ; In cruce figaris (va te faire crucifier) ; Tu nugas es (tu n’es rien). Cependant, les Romains n’étaient pas les premiers dans ce domaine.
À Rome, la Curie, le Comitium (assemblée du peuple) et les Rostres sont très proches les uns des autres. Les citoyens rassemblés dans le Comitium pouvaient entendre les débats du Sénat (les portes de la Curie ouvertes) et des magistrats.
Dans la cité d’Athènes, la parrhèsia (la liberté de parole) permettait d’utiliser l’injure comme une arme. Platon, en revanche, voyait ça d’un mauvais œil : « Des injures salissantes ne sont pas du tout convenables dans une cité bien policée. » (cf. Les Lois).
Proposant même d’exiler d’Athènes les auteurs comiques dont les pièces contiendraient des propos offensants, Platon n’en verra pourtant pas l’ampleur à Rome. Car les Romains vont emboîter le pas aux Grecs et en faire une arme politique sans pareil.
La gestuelle des mains
Une tradition rhétorique gréco-romaine a survécu dans l’iconographie chrétienne : la gestuelle de la main. Ces gestes étaient utilisés par les orateurs et rhéteurs lorsqu’ils prononçaient des discours dans l’agora ou au Sénat, à l’instar de Cicéron.
« Dès que j’eus compris que le peuple romain fait l’oreille sourde, je ne songeai plus qu'à frapper ses yeux de ma présence. J’habitai dans ses regards; je fatiguai le Forum de mes pas. Grand exemple que nous recommandons aux hommes d'État ! »
Éphémérides universelles, ou Tableau religieux, politique
Sans pouvoir connaître réellement l’impact ni même en faire une généralité, les scandales du « Pro Caelio » et des « Philippiques » montrent que l’attaque personnelle, ad personam, ont pris une tout autre mesure chez Cicéron.
Mais peut-on tout dire ? Pas tout à fait. Si les traités rhétoriques des années 80 av. J.-C. prescrivaient de salir son opposant, une charge excessive disqualifiera l’orateur. L’accusation, la médisance et l’insulte sont trois choses bien différentes.
En tant que bretteur du mot, Cicéron établira une limite entre attaques acceptables, propres à susciter le rire, et les insultes révoltantes qui provoquent l’indignation. À l’inverse du « petulantia », la violence physique (et vice moral) injustifiée, le rire est plus efficace.
L’insulte et le rire se mêlent : les difformités physiques, les conduites obscènes et les déviances sexuelles sont alors un sujet brûlant de l’invective romaine. « Tu as pris la toge virile […] tu en as en fait un habit de femme » peut-on lire dans les Philippiques.
Dans un long passage du De oratore (II, 216-291), Cicéron applique une étude sur le rire politique. Fin limier de son temps, il raillera l’ambition politique de ses opposants. À partir de 59 av. J.-C., Cicéron emploiera notamment des surnoms orientaux pour se moquer de Pompée.
En 54 av. J.-C., le vent tourne et Cicéron se lamente désormais de l’impossibilité de plaisanter en public. Les exemples cités montrent néanmoins les signes d’un temps, où les institutions et la sociabilité s’écroulent face à une violence de moins en moins dissimulée.
En savoir plus
Les informations de cet article proviennent de Charles Guérin, Université Paul valèry – Montpellier 3 : https://persee.fr/doc/vita_0042-7306_2008_num_178_1_1260
« Pouvait-on rire de César ? » (article http://Histoire.fr)